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Les reptiles et batraciens à Vierville

 

Fin du 20ème siècle et disparition de l’herpétofaune française
Un témoignage pour la région du Calvados du nord du Bessin

Bull. Soc. Herp. Fr. (2003) 106 : 26-32

par Christian CAUVET 25 rue Domremy, 76000 ROUEN

La fin du 20 ème siècle a été marquée, dans beaucoup de régions françaises, par une réduction dramatique des populations de reptiles et batraciens. Beaucoup de paysages ruraux ont été radicalement modifiés par l’évolution des pratiques culturales. Il est aujourd’hui impossible de deviner qu’ils pouvaient, il y a seulement quelques années, être totalement différents et abriter une faune aujourd’hui disparue. C’est en particulier le cas de la faune de reptiles et batraciens et je pense qu’il peut être utile que le bulletin de la SHF serve aussi de témoin de ces évolutions, afin que les générations futures puissent retrouver sur ses pages des témoignages des évolutions brutales de notre environnement. C’est pourquoi j’ai souhaité, en quelques lignes, pouvoir témoigner de ma connaissance personnelle de l’herpétofaune d’une région et de l’évolution qui a été la sienne entre le début des années 80 et nos premières années du 21ème siècle.

La région concernée est celle de l’ouest du Bessin, et en particulier la zone située en arrière des plages surnommées « Omaha » depuis le débarquement allié du 6 juin 1944, entre le rivage de la Manche et la commune de Trévières, à une dizaine de kilomètres à l’intérieur des terres. Cette région du Bessin était traditionnellement une région d’élevage bovin et laitier car la pluviométrie de son climat y favorise la croissance rapide d’une herbe grasse. La structure des exploitations agricoles était donc de type « bocager » et adaptée à ces productions et cette région se caractérisait par l’abondance de petites parcelles, souvent d’un hectare ou moins, séparées par des talus plantés de haies, fréquemment bordés de fossés et comprenant souvent une ou plusieurs mares destinées à l’abreuvage du bétail. Cette région était tellement caractéristique, avec d’autres connexes du Calvados ou de la Manche, que l’on a d’ailleurs parlé de « bataille des haies » pour décrire les combats qui se sont déroulés dans les premiers jours qui ont suivi le débarquement en Normandie. Or, cette partie de l’intérieur des terres a brutalement changé à partir du début des années 90, avec l’intensification de la culture du maïs et l’abattage parallèle de nombreuses haies.

Sur le cordon littoral, un milieu particulier était également propice à l’herpétofaune, constituée de falaises en pente douce, livrées aux hautes herbes, et d’un cordon dunaire, sur la commune de Saint Laurent, comportant une zone marécageuse. Toute cette zone côtière a constitué, des années 40 à la fin des années 60, une sorte de réserve naturelle, car, à la suite des minages réalisés par les allemands pendant l’occupation, et du fait des nombreuses munitions abandonnées après le débarquement, une certaine crainte à s’y aventurer a longtemps existé. La construction de nombreuses résidences secondaires n’a repris qu’à partir des années 70, entamant la destruction progressive des biotopes côtiers favorables aux reptiles et batraciens. 

Né à la fin des années 50, je me suis trouvé adolescent au cours des années 70 et mes parents disposaient d’une résidence dans cette zone. Passionné par tous les milieux aquatiques, je passais beaucoup de mon temps, à bicyclette, à explorer cette région. J’ai pu ainsi y recenser à cette époque une faune herpétologique très riche qui était constituée de nombreuses espèces.

Le milieu bocager avec de nombreuses mares était en effet très favorable aux batraciens et la zone côtière également aux reptiles. Aujourd’hui, en 2002, la plupart des espèces de reptiles et batraciens ont quasiment disparu ou se sont énormément raréfiées pour plusieurs raisons : d’une part l’évolution des pratiques culturales qui ont fait disparaître, en moins de vingt ans seulement, une grande partie des haies et talus et la quasi totalité des mares et points d’eau, et d’autre part la fréquentation accrue du littoral et la construction de nombreuses résidences secondaires. Vous trouverez donc ci après retracées, quelques une de mes observations relatives à l’herpétofaune de cette zone (j’ai constaté que cette zone référencée XIV-11 dans l’inventaire de 1989 de la SHF avait été peu ou incomplètement étudiée car beaucoup des espèces que j’y ai observées n’y sont pas référencées)

Les reptiles : Quatre espèces étaient présentes avec certitude : la vipère péliade (Vipera berus), l’orvet (Anguis fragilis), le lézard vivipare (Lacerta vivipara) et la couleuvre à collier (Natrix natrix). Je n’ai par contre jamais relevé la présence de la Coronelle lisse (Coronella austriaca), mais sa grande discrétion naturelle peut l’expliquer.

En ce qui concerne la vipère péliade, Vipera berus, cette espèce était très abondante dans les années 60 sur la zone côtière de falaises éboulées en pentes douces, à tel point que nos parents nous interdisaient d’aller y jouer à cause des « serpents » . Il est vrai qu’il suffisait de faire quelques mètres en dehors des sentiers pour tomber nez à nez avec un « serpent » (qui n’était souvent qu’un orvet…). Il m’est même plusieurs fois arrivé de rencontrer des vipères péliade sur la plage (des jeunes la plupart du temps) qui y étaient descendues le long de ruisseaux ou qui je pense avaient été entraînées dans des tuyauteries d’évacuation d’eau du marécage intérieur. Vipera berus se rencontrait également fréquemment le long des talus dans les champs situés en haut des falaises ou dans la zone non cultivée qui borde la falaise. Aujourd’hui cette espèce est encore présente mais est devenue très rare et très discrète. Sa présence à Vierville sur mer m’en a néanmoins été prouvée en 2001 par la vue d’une femelle adulte tuée par habitant de cette commune, en mai 2002 par la capture personnelle d’un spécimen juvénile vivant, d’environ 18 cm, ainsi que par l’observation en juillet 2002 d’un mâle adulte dans la zone côtière gérée par le conservatoire du littoral à proximité du cimetière militaire américain, qui malgré sa fréquentation touristique estivale, reste donc un lieu de refuge pour la faune herpétologique. 

L’orvet, Anguis fragilis, était encore plus fréquent que la vipère péliade et sa présence accentuait le sentiment de prolifération des serpents dans les zones incultes. Il est encore relativement fréquent et assez bien connu des résidents secondaires qui le respectent. Malheureusement, sa rencontre avec des personnes mal informées lui est souvent fatale.

Lacerta vivipara (lézard vivipare) semble avoir presque totalement disparu. Il était pourtant assez abondant à tous les endroits un peu ensoleillés et en particulier sur la bande côtière, en particulier dans les éboulis de cailloux et sur les falaises en pentes douces, pourtant orientées vers le nord. Sa disparition semble très liée au développement des résidences secondaires sur la côte et à la multiplication des chats sur sa zone de répartition. J’ai en effet très souvent observé les chats domestiques se livrer avec succès à la chasse de ces lézards. Il est cependant possible qu’il subsiste encore en certains endroits précis, en particulier dans les éboulis de falaise et dans les zones incultes de bordure de falaise. Loin des habitations, il est possible qu’il doive sa raréfaction également à la prédation des goélands, ou de divers rapaces, plus nombreux aujourd’hui qu’il y a vingt ans.

La couleuvre à collier Natrix natrix n’était pas très abondante mais pouvait se rencontrer régulièrement, non sur la zone côtière, mais à l’intérieur au bord des mares. Elle existait aussi vraisemblablement dans la zone de marécage côtier de Saint Laurent sur mer. Aujourd’hui, l’espèce semble avoir presque totalement disparu avec le comblement de mares et l’assèchement progressif du marais côtier. L’espèce est cependant toujours présente au sud de la zone dans le marais de Trévières où les fossés humides qu’elle affectionne sont encore nombreux.

Les batraciens : Plutôt intéressé par les batraciens urodèles, ma connaissance en est bien meilleure que celle des anoures également présents. Parmi les urodèles, étaient présents avec certitude : le triton crêté Triturus cristatus, le triton ponctué ou commun Triturus vulgaris, le triton palmé triturus  helveticus et le triton alpestre triturus alpestis ainsi que la salamandre commune Salamandra salamandra. Pour les anoures, je peux attester avec certitude de la présence  du crapaud commun Bufo bufo, de la rainette verte Hyla arborea, du crapaud accoucheur Alytes ostetricans et de grenouilles rousses de l’espèce Rana temporaria. L’identité exacte des grenouiles vertes rencontrées ne m’est pas connue. Quant à Rana dalmatina, je ne peux attester de sa présence dans la zone. Je n’ai pas de certitudes sur la présence de Bufo calamita, le crapaud des joncs et Bombina variegata, le sonneur à ventre jaune, mais je pense que ces deux espèces devaient être présentes dans le marais côtier de Saint Laurent, biotope qui leur était très favorable et comparable à d’autres similaires du Calvados (Ver sur mer et environs – Zone XV-11 de l’atlas 89 ; Castanet & Guyétant,. 1989) où j’ai constaté la présence de ces deux espèces. Ce marais ayant subi de nombreux assèchements et étant désormais comblé en grande partie et amputé par la construction de résidences secondaires, ces deux espèces sont certainement éteintes dans la zone.

Bufo Bufo était certainement l’espèce la plus visible sur toute la zone, aussi bien côtière qu’intérieure. Lors des nuits d’été pluvieuses, les routes en étaient littéralement envahies, et il était impossible de se déplacer en voiture sans en écraser de grandes quantités. Aujourd’hui, il est quasiment disparu, faute d’avoir conservé ses lieux humides de reproduction,  pratiquement tous comblés.

Salamandra salamandra était elle aussi très abondante et également lors des nuits d’été pluvieuses on pouvait en voir des dizaines sur les routes, où elles payaient un très lourd tribut à la circulation automobile. Elles se remarquaient beaucoup moins que les crapauds car leur forme et leur couleur les faisait confondre avec des feuilles mortes ou des morceaux de branches et la plupart des gens ignoraient leur présence pourtant très importante. Au lever du jour, les corbeaux se précipitaient sur la route pour se repaître de leurs cadavres qui étaient donc très vite  éliminés et ne pouvaient donc être observés. Dans les années 80 il m’arrivait souvent de prendre ma voiture par nuits pluvieuses pour observer les salamandres, et, en roulant plein phares au ralenti sur les routes joignant les communes de Formigny et Vierville sur mer ou Saint Laurent sur mer, je pouvais constater leur présence très abondante. Aujourd’hui, dans des conditions identiques, il est très difficile et presque impossible d’en voir une seule. Il reste cependant encore quelques rares trous d’eau où en hiver et au printemps des larves de salamandres peuvent être trouvées, attestant de la subsistance d’adultes, mais ces derniers trous d’eau sont en sursis et la disparition quasi totale de l’espèce semble proche.

Lors de mes prospections nocturnes, il m’arrivait aussi fréquemment de trouver sur la route des adultes du crapaud accoucheur, Alytes obstetricans. Cela fait bien des années que je n’en ai plus vu mais peut-être reste t–il encore quelques spécimen autour des certaines mares isolées à l’écart des routes...

La rainette verte Hyla arborea était très abondante mais avait vu sa population fortement diminuer dès après l’été 1976 qui avait été très sec. Je me souviens encore, avant cette année, m’être promené le long d’un talus planté d’arbustes où l’on pouvait voir une rainette pratiquement tous les mètres. L’espèce a progressivement régressé mais elle est encore présente car, certaines nuits propices, on peut encore entendre le chant de spécimen isolés. Mais il est certain qu’il se produit désormais très peu de reproduction dans la zone même, compte tenu de la raréfaction des points d’eau. Pourtant, en juillet 2002, j’ai constaté la présence de nombreux têtards de rainette dans une mare située en bordure de route et d’un champ cultivé. Il s’agit malheureusement là encore d’une mare en sursis, sa voisine dans le même champ ayant été comblée pendant l’hiver 2001/2002 ...

Les grenouilles rousses Rana temporaria sont aussi devenues très rares alors qu’elle étaient également omniprésentes. Comme les crapauds et les salamandres elles étaient « autrefois » très nombreuses à se faire écraser la nuit sur les routes par temps de pluie.

Les quatre espèces de tritons connues au nord de la France étaient présentes en abondance et peuplaient presque toutes les mares de la zone : Triturus alpestris, Triturus cristatus, Triturus helveticus et Triturus vulgaris. L’espèce la plus répandue était T. helveticus, suivie de près par T. vulgaris. T. alpestris  était présent presque partout mais en moindre quantité. Quant à Triturus cristatus, le moins nombreux, il pouvait se rencontrer même dans de petites mares où sa présence était un peu inattendue. Certaines grandes mares hébergeaient les  quatre espèces et je me souviens avoir passé de longs moments, en fin de printemps ou en début d’été, immobile au bord de mares à l’eau claire, à observer les pariades de ces quatre espèces et en particulier des tritons crêtés. Aujourd’hui, des dizaines de mares ont été comblées et celles restant propices sont très peu nombreuses et menacées. T. cristatus est devenu excessivement rare, de même que T. vulgaris et T. alpestris. T. helveticus résiste encore et on peut le trouver très tôt en saison dans quelques fossés remplis d’eau, où malheureusement les juvéniles n’ont pas le temps de subir leur métamorphose avant leur assèchement.  Je n’ai jamais constaté la présence dans cette zone de Triturus marmoratus, le triton marbré.

Le constat ici porté pour une région limitée pourrait malheureusement être le même pour une grande partie du département du Calvados où haies et mares ont dramatiquement régressé au cours des deux dernières décennies. Dans la région de Caen, je connaissais également des dizaines de sites où observer reptiles et batraciens. Aujourd’hui, cette région a été totalement « ratissée » par les agriculteurs avides de grands espaces et tous ces sites ont disparu….. malgré les lois et décrets de protection de la faune…. Dans la ville même de Caen, au milieu du champ de courses appelé « La Prairie », on pouvait encore, dans les années 70, et avant les travaux de drainage…trouver de très nombreux Triturus vulgaris et helveticus.

On voit ici que sur le terrain, la publication de textes de protection de la faune est d’un effet totalement nul devant l’urbanisation et surtout l’évolution des pratiques agricoles : quelle peut être en effet la motivation d’un agriculteur pour le maintien d’une mare au milieu d’un pâturage converti en champ de blé ou de maïs….

Peut-on encore faire quelque chose ? Une certaine prise de conscience semble se faire mais elle me paraît malheureusement être surtout de façade. Il m’est arrivé d’écrire à un élu local du Calvados apparemment sensible à l’évolution des paysages et à la disparition des haies pour essayer de le sensibiliser au problème de la faune qui nous intéresse. J’attends encore sa réponse….

Pour ma part, j’ai décidé de contribuer à ma manière à la sauvegarde des batraciens en devenant propriétaire, à l’autre bout du département du Calvados, dans le Pays d’Auge, d’un lopin de terre d’élevage, où je compte bien restaurer les mares qui s’y trouvent encore et sont à l’abandon, alors, qu’à l’exception de Triturus marmoratus, on trouve encore à leur proximité des survivants de toutes les espèces d’urodèles du nord de la France (salamandre, triton crêté, palmé, vulgaire et alpestre) ainsi que, parmi les anoures, au moins Hyla arborea, Rana temporaria et des grenouilles vertes.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Castanet J. & Guyétant R. 1989 - Atlas de répartition des amphibiens et reptiles de France. Société Herpétologique de France. Paris. 191 p.