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Fin
du 20ème siècle et disparition de l’herpétofaune française
Un témoignage pour la région du Calvados du nord du Bessin par Christian CAUVET 25
rue Domremy, 76000 ROUEN La fin du 20 ème siècle a été marquée, dans beaucoup
de régions françaises, par une réduction dramatique des populations
de reptiles et batraciens. Beaucoup de paysages ruraux ont été radicalement
modifiés par l’évolution des pratiques culturales. Il est aujourd’hui
impossible de deviner qu’ils pouvaient, il y a seulement quelques
années, être totalement différents et abriter une faune aujourd’hui
disparue. C’est en particulier le cas de la faune de reptiles et batraciens
et je pense qu’il peut être utile que le bulletin de la SHF serve
aussi de témoin de ces évolutions, afin que les générations futures
puissent retrouver sur ses pages des témoignages des évolutions brutales
de notre environnement. C’est pourquoi j’ai souhaité, en quelques
lignes, pouvoir témoigner de ma connaissance personnelle de l’herpétofaune
d’une région et de l’évolution qui a été la sienne entre le début
des années 80 et nos premières années du 21ème siècle.
La région concernée est celle de l’ouest du Bessin,
et en particulier la zone située en arrière des plages surnommées
« Omaha » depuis le débarquement allié du 6 juin 1944, entre le rivage
de la Manche et la commune de Trévières, à une dizaine de kilomètres
à l’intérieur des terres. Cette région du Bessin était traditionnellement
une région d’élevage bovin et laitier car la pluviométrie de son climat
y favorise la croissance rapide d’une herbe grasse. La structure des
exploitations agricoles était donc de type « bocager » et adaptée
à ces productions et cette région se caractérisait par l’abondance
de petites parcelles, souvent d’un hectare ou moins, séparées par
des talus plantés de haies, fréquemment bordés de fossés et comprenant
souvent une ou plusieurs mares destinées à l’abreuvage du bétail.
Cette région était tellement caractéristique, avec d’autres connexes
du Calvados ou de la Manche, que l’on a d’ailleurs parlé de « bataille
des haies » pour décrire les combats qui se sont déroulés dans les
premiers jours qui ont suivi le débarquement en Normandie. Or, cette
partie de l’intérieur des terres a brutalement changé à partir du
début des années 90, avec l’intensification de la culture du maïs
et l’abattage parallèle de nombreuses haies. Sur le cordon littoral,
un milieu particulier était également propice à l’herpétofaune, constituée
de falaises en pente douce, livrées aux hautes herbes, et d’un cordon
dunaire, sur la commune de Saint Laurent, comportant une zone marécageuse.
Toute cette zone côtière a constitué, des années 40 à la fin des années
60, une sorte de réserve naturelle, car, à la suite des minages réalisés
par les allemands pendant l’occupation, et du fait des nombreuses
munitions abandonnées après le débarquement, une certaine crainte
à s’y aventurer a longtemps existé. La construction de nombreuses
résidences secondaires n’a repris qu’à partir des années 70, entamant
la destruction progressive des biotopes côtiers favorables aux reptiles
et batraciens.
Les
reptiles
: Quatre espèces étaient présentes avec certitude : la
vipère
péliade
(Vipera berus), l’orvet
(Anguis fragilis), le lézard
vivipare (Lacerta vivipara) et la couleuvre
à collier (Natrix natrix). Je n’ai par contre
jamais relevé la présence de la Coronelle
lisse (Coronella austriaca), mais sa grande
discrétion naturelle peut l’expliquer. En ce qui concerne la vipère
péliade, Vipera berus, cette espèce était très abondante
dans les années 60 sur la zone côtière de falaises éboulées en pentes
douces, à tel point que nos parents nous interdisaient d’aller y jouer
à cause des « serpents » . Il est vrai qu’il suffisait de faire quelques
mètres en dehors des sentiers pour tomber nez à nez avec un « serpent
» (qui n’était souvent qu’un orvet…). Il m’est même plusieurs fois
arrivé de rencontrer des vipères péliade sur la plage (des jeunes
la plupart du temps) qui y étaient descendues le long de ruisseaux
ou qui je pense avaient été entraînées dans des tuyauteries d’évacuation
d’eau du marécage intérieur. Vipera berus se rencontrait également
fréquemment le long des talus dans les champs situés en haut des falaises
ou dans la zone non cultivée qui borde la falaise. Aujourd’hui cette
espèce est encore présente mais est devenue très rare et très discrète.
Sa présence à Vierville sur mer m’en a néanmoins été prouvée en 2001
par la vue d’une femelle adulte tuée par habitant de cette commune,
en mai 2002 par la capture personnelle d’un spécimen juvénile vivant,
d’environ 18 cm, ainsi que par l’observation en juillet 2002 d’un
mâle adulte dans la zone côtière gérée par le conservatoire du littoral
à proximité du cimetière militaire américain, qui malgré sa fréquentation
touristique estivale, reste donc un lieu de refuge pour la faune herpétologique.
L’orvet, Anguis
fragilis, était encore plus fréquent que la vipère péliade et
sa présence accentuait le sentiment de prolifération des serpents
dans les zones incultes. Il est encore relativement fréquent et assez
bien connu des résidents secondaires qui le respectent. Malheureusement,
sa rencontre avec des personnes mal informées lui est souvent fatale.
Lacerta vivipara (lézard vivipare)
semble avoir presque totalement disparu. Il était pourtant assez abondant
à tous les endroits un peu ensoleillés et en particulier sur la bande
côtière, en particulier dans les éboulis de cailloux et sur les falaises
en pentes douces, pourtant orientées vers le nord. Sa disparition
semble très liée au développement des résidences secondaires sur la
côte et à la multiplication des chats sur sa zone de répartition.
J’ai en effet très souvent observé les chats domestiques se livrer
avec succès à la chasse de ces lézards. Il est cependant possible
qu’il subsiste encore en certains endroits précis, en particulier
dans les éboulis de falaise et dans les zones incultes de bordure
de falaise. Loin des habitations, il est possible qu’il doive sa raréfaction
également à la prédation des goélands, ou de divers rapaces, plus
nombreux aujourd’hui qu’il y a vingt ans. La couleuvre à collier
Natrix natrix n’était pas très abondante mais pouvait se rencontrer
régulièrement, non sur la zone côtière, mais à l’intérieur au bord
des mares. Elle existait aussi vraisemblablement dans la zone de marécage
côtier de Saint Laurent sur mer. Aujourd’hui, l’espèce semble avoir
presque totalement disparu avec le comblement de mares et l’assèchement
progressif du marais côtier. L’espèce est cependant toujours présente
au sud de la zone dans le marais de Trévières où les fossés humides
qu’elle affectionne sont encore nombreux. Les
batraciens : Plutôt intéressé par les batraciens urodèles, ma connaissance
en est bien meilleure que celle des anoures également présents. Parmi
les urodèles, étaient présents avec certitude : le triton
crêté Triturus cristatus, le
triton
ponctué ou commun Triturus vulgaris,
le triton
palmé triturus
helveticus et le triton
alpestre triturus alpestis ainsi que la
salamandre
commune Salamandra salamandra. Pour les
anoures, je peux attester avec certitude de la présence
du crapaud
commun Bufo bufo, de la rainette
verte Hyla arborea, du crapaud
accoucheur Alytes ostetricans et de grenouilles
rousses de l’espèce Rana temporaria. L’identité
exacte des grenouiles
vertes rencontrées ne m’est pas connue. Quant à
Rana dalmatina, je ne peux attester de sa présence dans la
zone. Je n’ai pas de certitudes sur la présence de Bufo calamita,
le crapaud
des joncs et Bombina variegata, le sonneur
à ventre jaune, mais je pense que ces deux espèces
devaient être présentes dans le marais côtier de Saint Laurent, biotope
qui leur était très favorable et comparable à d’autres similaires
du Calvados (Ver sur mer et environs – Zone XV-11 de l’atlas 89 ;
Castanet & Guyétant,. 1989) où j’ai constaté la présence de ces
deux espèces. Ce marais ayant subi de nombreux assèchements et étant
désormais comblé en grande partie et amputé par la construction de
résidences secondaires, ces deux espèces sont certainement éteintes
dans la zone. Bufo Bufo était certainement l’espèce la plus visible sur
toute la zone, aussi bien côtière qu’intérieure. Lors des nuits d’été
pluvieuses, les routes en étaient littéralement envahies, et il était
impossible de se déplacer en voiture sans en écraser de grandes quantités.
Aujourd’hui, il est quasiment disparu, faute d’avoir conservé ses
lieux humides de reproduction, pratiquement
tous comblés. Salamandra salamandra était elle aussi très
abondante et également lors des nuits d’été pluvieuses on pouvait
en voir des dizaines sur les routes, où elles payaient un très lourd
tribut à la circulation automobile. Elles se remarquaient beaucoup
moins que les crapauds car leur forme et leur couleur les faisait
confondre avec des feuilles mortes ou des morceaux de branches et
la plupart des gens ignoraient leur présence pourtant très importante.
Au lever du jour, les corbeaux se précipitaient sur la route pour
se repaître de leurs cadavres qui étaient donc très vite éliminés et ne pouvaient donc être observés.
Dans les années 80 il m’arrivait souvent de prendre ma voiture par
nuits pluvieuses pour observer les salamandres, et, en roulant plein
phares au ralenti sur les routes joignant les communes de Formigny
et Vierville sur mer ou Saint Laurent sur mer, je pouvais constater
leur présence très abondante. Aujourd’hui, dans des conditions identiques,
il est très difficile et presque impossible d’en voir une seule. Il
reste cependant encore quelques rares trous d’eau où en hiver et au
printemps des larves de salamandres peuvent être trouvées, attestant
de la subsistance d’adultes, mais ces derniers trous d’eau sont en
sursis et la disparition quasi totale de l’espèce semble proche. Lors de mes prospections
nocturnes, il m’arrivait aussi fréquemment de trouver sur la route
des adultes du crapaud accoucheur, Alytes obstetricans. Cela
fait bien des années que je n’en ai plus vu mais peut-être reste t–il
encore quelques spécimen autour des certaines mares isolées à l’écart
des routes... La rainette verte Hyla
arborea était très abondante mais avait vu sa population fortement
diminuer dès après l’été 1976 qui avait été très sec. Je me souviens
encore, avant cette année, m’être promené le long d’un talus planté
d’arbustes où l’on pouvait voir une rainette pratiquement tous les
mètres. L’espèce a progressivement régressé mais elle est encore présente
car, certaines nuits propices, on peut encore entendre le chant de
spécimen isolés. Mais il est certain qu’il se produit désormais très
peu de reproduction dans la zone même, compte tenu de la raréfaction
des points d’eau. Pourtant, en juillet 2002, j’ai constaté la présence
de nombreux têtards de rainette dans une mare située en bordure de
route et d’un champ cultivé. Il s’agit malheureusement là encore d’une
mare en sursis, sa voisine dans le même champ ayant été comblée pendant
l’hiver 2001/2002 ... Les grenouilles rousses Rana temporaria
sont aussi devenues très rares alors qu’elle étaient également omniprésentes.
Comme les crapauds et les salamandres elles étaient « autrefois »
très nombreuses à se faire écraser la nuit sur les routes par temps
de pluie. Les quatre espèces de tritons connues au nord de
la France étaient présentes en abondance et peuplaient presque toutes
les mares de la zone : Triturus alpestris, Triturus cristatus,
Triturus helveticus et Triturus vulgaris. L’espèce la plus
répandue était T. helveticus, suivie de près par T. vulgaris. T.
alpestris était présent
presque partout mais en moindre quantité. Quant à Triturus cristatus,
le moins nombreux, il pouvait se rencontrer même dans de petites mares
où sa présence était un peu inattendue. Certaines grandes mares hébergeaient
les quatre espèces et je me
souviens avoir passé de longs moments, en fin de printemps ou en début
d’été, immobile au bord de mares à l’eau claire, à observer les pariades
de ces quatre espèces et en particulier des tritons crêtés. Aujourd’hui,
des dizaines de mares ont été comblées et celles restant propices
sont très peu nombreuses et menacées. T. cristatus est
devenu excessivement rare, de même que T. vulgaris et
T. alpestris. T. helveticus résiste encore
et on peut le trouver très tôt en saison dans quelques fossés remplis
d’eau, où malheureusement les juvéniles n’ont pas le temps de subir
leur métamorphose avant leur assèchement.
Je n’ai jamais constaté la présence dans cette zone de Triturus
marmoratus, le triton marbré. Le constat ici porté pour
une région limitée pourrait malheureusement être le même pour une
grande partie du département du Calvados où haies et mares ont dramatiquement
régressé au cours des deux dernières décennies. Dans la région de
Caen, je connaissais également des dizaines de sites où observer reptiles
et batraciens. Aujourd’hui, cette région a été totalement « ratissée
» par les agriculteurs avides de grands espaces et tous ces sites
ont disparu….. malgré les lois et décrets de protection de la faune….
Dans la ville même de Caen, au milieu du champ de courses appelé «
La Prairie », on pouvait encore, dans les années 70, et avant les
travaux de drainage…trouver de très nombreux Triturus vulgaris
et helveticus. On voit ici que sur le terrain, la publication
de textes de protection de la faune est d’un effet totalement nul
devant l’urbanisation et surtout l’évolution des pratiques agricoles
: quelle peut être en effet la motivation d’un agriculteur pour le
maintien d’une mare au milieu d’un pâturage converti en champ de blé
ou de maïs…. Peut-on encore faire quelque
chose ? Une certaine prise de conscience semble se faire mais elle
me paraît malheureusement être surtout de façade. Il m’est arrivé
d’écrire à un élu local du Calvados apparemment sensible à l’évolution
des paysages et à la disparition des haies pour essayer de le sensibiliser
au problème de la faune qui nous intéresse. J’attends encore sa réponse….
Pour ma part, j’ai décidé
de contribuer à ma manière à la sauvegarde des batraciens en devenant
propriétaire, à l’autre bout du département du Calvados, dans le Pays
d’Auge, d’un lopin de terre d’élevage, où je compte bien restaurer
les mares qui s’y trouvent encore et sont à l’abandon, alors, qu’à
l’exception de Triturus marmoratus, on trouve encore à leur
proximité des survivants de toutes les espèces d’urodèles du nord
de la France (salamandre, triton crêté, palmé, vulgaire et alpestre)
ainsi que, parmi les anoures, au moins Hyla arborea, Rana
temporaria et des grenouilles vertes. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Castanet J. & Guyétant R. 1989
- Atlas de répartition des amphibiens et reptiles de France. Société
Herpétologique de France. Paris. 191 p.
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