- Née
à Paris en 1786, décédée en 1861
- Fille d’Edouard-Marie de Marguerye, colonel de la
Garde Royale de Louis XVI, guillotiné à Paris le 2 juin 1794, et d’Anna-Bella
Drummond de Melfort, écossaise, dame d’honneur de Madame Elisabeth,
sœur de Louis XVI.
- Après le 10 août 1792 et la fuite de ses parents
en Angleterre, elle a été élevée de 1792 à 1802 par son grand-père
Gilles-Edouard de Marguerye (1709+1802), seigneur de Vierville et
de Lormel, et seigneur du Vaumisset par son épouse, Marie-Thérèse
de Pleurre.
- Elle a été mariée en 1802 au comte Eugène Texier
de Hautefeuille, futur Maréchal de France, officier au service de
la France dans les armées de Napoléon et de la Restauration.
- Délaissée par son
mari en 1809, elle a vécu de longues années sous l’Empire,
la Restauration et le Second Empire, demeurant notamment à Paris,
Bayeux, Ver-sur-Mer et Agy. Elle a publié de 1834 à 1859, 6 ouvrages
littéraires et politiques, et milité activement contre la peine de
mort et les peines infamantes, et pour le droit au divorce des femmes. Dans la préface de son premier recueil de poésies :« SOUFFRANCES », publié en 1834, elle évoque
ses parents, son grand-père et le château de Vierville :
« PREFACE
Encore une femme auteur, dira-t-on! Eh! mon Dieu oui!.. en dépit de cet aveu timide qu'il faut bien
risquer. Peut-être blâmera-t-on mon audace ; mais, seule, dès
le jeune âge, en face du malheur, n’ayant depuis longues années d’autre
devoir à remplir que celui de supporter la vie, j'ai cru pouvoir m’aider
dans cette entreprise de quelques occupations qui n’étaient pas pour
moi sans douceur. En vain chercherai-je d’autres excuses; je
n’en ai plus à offrir à ceux de mes lecteurs qui ne permettent point
aux femmes de cultiver les muses. Puissent ces esprits trop rigides,
après le court exposé qui va suivre, faire grâce au motif que j'énonce
s'ils ne peuvent absolument l’admettre!
Je
n'avais pas cinq ans, et déjà les malheurs de la révolution m’avaient
frappée en m’enlevant ma famille. Mon père, colonel dans la garde
de notre premier roi constitutionnel, après avoir échappé par miracle
à la journée du 10 août, conduisit ma mère, dame de madame Elisabeth,
en Angleterre ; puis inquiet sur le sort de ses deux enfans en
bas âge, sur celui de son vieux père, alors sexagénaire, il revint
en France, se rapprocha de nous, et bientôt, il recevait dans les
prisons de Bayeux les dernières caresses de ses jeunes enfans, condamnés
à devenir orphelins !
Il nous recommanda d’être bons, vertueux, de nous aimer toujours. Quand
je compris que j’allais perdre mon père; que, plein de force et de
vie, il allait périr sur un échafaud, je jetai des cris perçans, et,
m’attachant à lui, je suppliai qu'il me fût permis de le suivre pour
demander sa grâce.
Deux gendarmes, nommés Piedplus et Lutrop, commis à la garde de mon père
pendant sa translation de Bayeux à Paris, touchés de nos douleurs,
proposèrent de le laisser fuir. Après on moment d’hésitation, il répondit,
non : les terroristes en veulent à ma fortune; pour l’avoir, ils tueraient
mon Père !
Il s’arracha de nos bras, fut conduit à la Conciergerie, et, huit jours
après, il était traduit devant le tribunal révolutionnaire, qui le
condamna sans examen à la peine de mort.
Trop jeune pour bien comprendre toute l’étendue de la
perte que je venais de faire, je restai cependant frappée d'un événement
qui bouleversait mon cœur et confondait ma raison. Je réfléchissais
souvent à la manière affreuse dont mon père avait péri ; et peut-être
mon invincible horreur pour le supplice, et la teinte de tristesse
dont la jeunesse même n'a pu me défendre tiennent-t-elle à l’impression
profonde que je reçus d’une telle catastrophe.
Ah! mon peuple, que vous ai je donc fait? J’aimais la
vertu, la justice ; Votre bonheur fut mon unique objet Et vous me
traînez au supplice!
Puis, je songeais à ce bon Louis XVI, en mémoire duquel elle avait été
faite; à mon père, mort pour lui ! et je pleurais.
A
ce moment, mon aïeul, qui reposait prés de la cheminée, ouvrit les
yeux. Jugeant de mon abattement par la position que j’avais prise,
il se leva, vint à moi, et me dit avec sa voix cassée par l’âge :
Caroline, mon enfant, qu'avez-vous donc ? je
levai les yeux ; quand il les vit tout mouillés de larmes,
il fit entendre cette petite toux répétée qui, chez lui, était l’indice
d'un profond attendrissement et il s’éloigna. Retombé dans son fauteuil
il se prit à gémir bien douloureusement ;
puis, joignant les mains, il pria. Cette douce occupation ayant calmé
le chagrin que j’avais eu le malheur de renouveler, le bon vieillard,
presque centenaire, reprit sa pose habituelle, et se rendormit.
Pendant
son sommeil, je composai quelques vers, les premiers qui m’eussent
encore été inspirés; ils peignaient la douleur de l'orphelin, les
regrets de l'enfant abandonné : ils demandaient pour lui grâce à l’avenir !…
Je joignis cette composition, bien imparfaite, à la dernière lettre que
mon père nous avait écrite de la Conciergerie quelques heures avant
sa mort. Froissée par le malheur qui, depuis cette première époque
de ma vie, n’a cessé de me frapper, quand j’éprouve le besoin de répandre
les pleurs de dilatation qui nous sauvent, je les demandent à ces
deux écrits, et bientôt je les sens couler.
Je me suis arrêtée sur ces détails, pour faire connaître l’origine de mon
faible talent, et aussi pour convaincre mes lecteurs, de quelque opinion
qu’ils soient, que je ne puis aimer une révolution dont naturellement
j'ai été l’ennemie de si jeune âge. Dernier rejeton de deux familles
qui ont tout risqué, tout perdu pour la cause de leurs rois, je n’ai
point oublié qu’elles m’ont légué l’héritage de leur fidélité , et
que l’on ne renonce point à une telle succession; mais cette fidélité,
chez moi, n’exclut pas la modération ; elle admet beaucoup d’idées
nouvelles; ne souhaite point de mouvement rétrograde (intellectuellement
parlant) et transige avec toutes les erreurs de bonne foi, qu'elle
n’attaquera jamais qu’avec les armes émoulues de la persuasion et
de la douceur‑
Si
quelques uns des morceaux que je soumets réussissent, je tâcherai
de me perfectionner dans le genre auquel on me croirait appelée. Puisse-t-il
m’être indiqué par la faveur publique! »
Comtesse Eugène d’Hautefeuille _______________________________________________________________ Dans un autre récit, elle raconte
que, la Terreur suivant son cours, son grand-père âgé de 85 ans, fût
arrêté à son tour au château de Vierville, probablement en juin ou
juillet 1794:
« ….Les domestiques effrayés prirent la fuite.
Demeurés seuls dans notre maison déserte, nous fondîmes en larmes,
mon jeune frère et moi, puis nous prenant par la main, nous allâmes
au hasard demander pitié, assistance. Un humble nous reçut. Plus tard
une autre hospitalité nous fût offerte… »
Emmené à Bayeux, puis à Paris, Gilles-Edouard de Marguerye échappa à la
guillotine grâce à la chute de Robespierre le 9 Thermidor (27 juillet
1794) qui marqua la fin de la Terreur.
Extrait de « La Renaissance du Bessin » 2005
Un personnage méconnu qui
a vécu dans le Bessin
L'aristocrate qui voulait
abolir la peine de mort
Personne ne la connaît. Et pourtant, la vie - douloureuse - et l'oeuvre
- étonnante - de la Bayeusaine Anne-Marie Caroline de Marguerye, comtesse
de Hautefeuille, aurait mérité plus d'une mention dans les annales
littéraires. Gérard Pouchain, professeur agrégé de lettres et membre
de la société des sciences, arts et belles lettres de Bayeux (SABL)
, est tout à son bonheur d'avoir exhumé ce fascinant personnage…
Un travail de chercheur, un vrai. Ce qui n'est pas sans plaire énormément
à Gérard Pouchain le conférencier de samedi dernier à l'auditorium.
Il a fait partager à plus de cinquante personnes le fruit de ses recherches
sur une certaine Anne·Marie Caroline de Marguerye, comtesse de Hautefeuille.
Ravi de pouvoir présenter cette femme, née à Paris en 1786, mais
qui a longtemps vécu à Bayeux, Agy, Vierville et Luc-sur-Mer. Parisienne
par son père et écossaise par sa mère, elle épouse le comte de Hautefeuille
« à l’âge de 15 ans et 9 mois ». Mal lui en a pris car celui-ci
la délaisse rapidement au profit de sa gloire personnelle (il deviendra
Maréchal de France)
« Elle avait très probablement un caractère impossible. On sait par exemple qu’elle avait de gros problèmes relationnels, au point qu’elle s’était couverte de dettes qu’elle n’aurait eu aucune difficultés à honorer … »
De gros soucis de santé et, comble de malchance, un grave accident l'acculeront
au bord du désespoir. "Elle a trouvé son salut dans l'écriture".
Entre 1834 et 1859 (elle mourut deux ans plus tard), elle publie six
ouvrages. Marguerye écrit des recueils de poésie qui lui valent notamment
les compliments de Lamartine, sans doute sensible au romantisme qu'exhalent
les vers langoureux de la comtesse. Elle publie aussi des ouvrages
philosophiques dans lesquels "elle s'intéresse au sort des gens
en prenant appui sur sa propre expérience malheureuse". C'est
ainsi une réflexion en faveur du droit au divorce des femmes, chose
proprement inimaginable à l'époque, et, encore plus inimaginable,
elle ose envoyer à tous les députés de France un vibrant plaidoyer
contre la peine de mort. La République, que cette aristocrate très
conservatrice déteste, lui a guillotiné son père...
C'est "une exhumation" conclut Gérard Pouchain. C'est aussi une
grande première : "depuis sa mort, elle n'avait fait l'objet
d'aucune biographie, d'aucune étude, d'aucun conférence. Pas même
un article ! ». Voilà, c'est réparé, Yann Scavarda |