6417Extrait de « Châteaux et chaumières » de la Comtesse de Hautefeuille, vers 1836
……….Quel est l’ordinaire emploi de ces
grandes fortunes, dont le possesseur semble si heureux ? Supposons
un revenu brut de 50.000F. … Le chiffre d’une telle fortune suppose au moins 10 domestiques, concierge, jardiniers, cocher, palefreniers, etc, etc ; l’un dans l’autre nourri, payé, habillé, éclairé, chauffé, un domestique coûte 1.000F par an à son maître 10.000F Dans une grande maison il est impossible de dépenser moins de 8.000F pour le boucher, pour le boulanger, pour l’épicier, pour le croquetier, ce dernier fournissant crème, œufs, lait, fromage, beurre, fruits, légumes, primeurs de chaque saison, toutes choses que le riche propriétaire croit acquérir en payant fort cher les bras qui les procurent, mais dont, en réalité, il se passe s’il ne les achète de première main. 8.000F Pour la dépense personnelle de madame à laquelle il faudra bien passer en outre quelques petits mémoires excédants 2.000F Pour le mari 2.000F Pour la nourriture de 4 chevaux, le ferrage, brides, selles, couvertes ; pour l’entretien des voitures, des harnais ; pour le renouvellement des uns et des autres, bon an mal an 4.000F A cause de ce qui se casse journellement dans une grande maison, en verre, faïence, porcelaine, poterie, cristaux, bouteilles, carafes ; chez le faïencier 1.000F Pour l’impôt foncier 6.000F Pour l’impôt mobilier, les portes et fenêtres 1.000F Pour les réparations, l’entretien et les non-valeurs 4.000F Pour les actes de bienfaisance 3.000F Pour le médecin et le pharmacien, tant à la campagne qu’à la ville 1.000F Pour l’éclairage et le chauffage 2.000F Pour le linge de table, draps, serviettes de toilette, linge de cuisine, frais de lessive et d’ouvrières 1.000F
Total 45.000F
Nous voici arrivé à la somme de 45.000F,
sans avoir rien donné à la fantaisie, sans avoir même parlé de
changements nécessaires, du remplacement de meubles qui se brisent
ou qui s’usent, de l’éducation des enfants, et l’on doit remarquer encore
que dans l ‘énumération que je viens de faire, il n’est question
ni de voyages, ni de fêtes, ni de spectacle, ni de courses, ni de meutes,
ni de frais de chasse, toutes choses auxquelles le riche ne renonce
pas et qui expliquent le dérangement de ces fortunes colossales qui
passent dans les mains comme l’eau dans la gouttière qui la reçoit.
Parce que les dépenses se font toutes par des moyens étrangers, par un intermédiaire (je laisse de côté la question de fidélité) qui n’a aucun intérêt à bien les employer, à économiser et à conserver ; parce que nos subordonnés, nous croyant tous des ressources inépuisables, paient sans marchander, sans compter même, vident les sacs du prétendu crésus et disent encore : - il a bon moyen de dépenser, ne doit-il pas faire vivre les malheureux ?
Et en effet le riche fait vivre, enrichit le domestique, le journalier, le petit débitant, qui achètent, conservent et dépensent par eux-mêmes.
Que cette belle fortune disparaisse de la localité, dix domestiques seront sans emploi ; l’ouvrier, le débitant, le petit fournisseur perdront leurs profits tels qu’ils soient ; le territoire divisé, ne permettant de luxe à aucun des nouveaux possesseurs, le boulanger, l’épicier, le croquetier verront diminuer leurs fournitures de moitié ; le commerce, l’industrie de la ville voisine perdront plus encore ; ils devront supprimer ces feuilles appelées mémoires, dont le paiement assure la vie, le bien-être, prépare souvent la richesse.
Et les pauvres, ces premiers créanciers du pays, qui devront aller de porte en porte demander à la petite richesse ce qu’ils obtenaient de la grande, et qui trouveront partout des refus, auront-ils gagné à ce bouleversement qui mêle la vie comme les écheveaux qu’ils faut rompre par petits bouts, attendu que l’on a brouillé la pièce entière ?……
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