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Le manoir de Thaon

(extraits et adaptations des Notes Historiques sur le Bessin et de la Statistique Monumentale du Calvados par Arcisse de Caumont)

Voir les cartes postales et photos diverses du manoir      Résumé de l'histoire du manoir de Than

A la fin du 18ème siècle, parmi les divers châteaux et manoirs existants Vierville, 2 d'entre eux étaient construits au voisinage immédiat du centre du bourg de Vierville: le château de Vierville et le manoir de Than, dont les parcs étaient séparés seulement par une voie étroite entre deux grands murs.

Celui de Vierville datait déjà d'un siècle lorsque la première pierre du manoir de Than fut posée en 1791 par le propriétaire du domaine, Monsieur de Rochefort, sur un plan régulier bien de son époque (par exemple le château de Barbeville près de Bayeux).

Voici ce qu'en disait un document publicitaire de 1932:

"En longeant le mur oriental du Vaumicel, par le chemin vert, on arrive au Manoir de Than.
Ce manoir a deux entrées, l'une au couchant et l'autre au levant, à travers un beau parc qui s'étend jusqu'à l'église. Dans ce manoir fut hospitalisé pendant la Révolution l'abbé Edgeworth, confesseur de Louis XVI. Un mur très épais permit d'y pratiquer une cachette. Après avoir appartenu à la famille Marguerit de Rochefort et à la dernière personne de ce nom, devenue la Comtesse de Goussencourt. le Manoir de Than est loué à Mme de Villodon par ses propriétaires Madame et M. le Commandant de Bray."


Le côté cour d'honneur du manoir détruit en 1944,
face à l'Ouest
(détails)


Aspect en 1944 des bâtiments de la ferme de Thaon qui
ont été réaménagés en habitation après la guerre


Le côté parc du manoir détruit en 1944, face à l'Est
(détails)


La pierre gravée retrouvée dans les ruines du manoir
(détails)


Un grand cyprès (espèce Lambert) du manoir de Than en 2006. Il a probablement plusieurs siècles. Celui qui a été abattu par la tempête en 1977 avait environ 350 ans

Ci -contre, le cadastre de 1823 montre que le bâtiment de la ferme, au Sud, était bordé par un chemin dit "Voie du Champ", qui a complétement disparu aujord'hui.

Le plan du manoir comprenait une partie centrale avec deux ailes symétriques, faisait face à une cour d'honneur côté Ouest avec une grille d'entrée donnant sur le seul chemin conduisant à l'époque à l'église de Vierville en venant de Louvières ou Formigny.
En arrière, côté Est, la façade opposée, plus simple, donnait sur le parc voisin de l'église et du cimetière.            

Le corps central possédait un perron à double rampe, flanqué de deux ailes, au fond d'une cour d'honneur fermée d'une grille à pilastres. Derrière, se trouvaient des pelouses et des jardins.

La façade Est du manoir avec ses ouvertures irrégulières, ses murailles grises, sa porte blanche en haut d'un petit perron était moins solennelle et beaucoup plus pittoresque que celle qui donnait sur la cour d'honneur.

Insensiblement cette façade sur le parc est devenue la principale au détriment de la cour d'honneur. Celle-ci avait à l'origine été placée face à la seule route  - actuellement la "Chasse au Frêne" - qui existait alors.

Mais, en 1835, une autre route plus importante fut tracée  - (la route départementale actuelle de Vierville à Formigny). Comme elle contournait le parc, le manoir put être beaucoup plus commodément desservi par elle. Cette disposition a fait que le passage par la cour d'honneur est peu à peu tombé en désuétude: on accédait depuis au château par une grille donnant sur cette nouvelle route, d'où l'agréable obligation de traverser le parc pour parvenir à l'habitation.

Le manoir est restée jusqu'en 1944 telle qu'il avait été édifié, sauf l'aile Nord, qui, ayant été en grande partie détruite en 1907 par un incendie, a été transformée en une aile couverte d'une terrasse à balustres à l'italienne.

En juin 1944 le manoir du 18ème siècle a été détruit complètement lors des combats et n'a pas été reconstruit. Les bâtiments de ferme ont alors réaménagés en habitation principale (tableau ci-dessous, de Martine Rocher, fille de Jean-Pierre et Thérèse Chedal-Anglay). L'accès principal est maintenant à nouveau assuré par le chemin de la "Chasse au Frêne"

Les propriétaires successifs du domaine de Than

(Voir le tableau généalogique)

 ""Au 17ème siècle, Thaon et Normanville appartenaient à Jean de Breteuil (ou de Brétheuille) écuyer.
A sa mort survenue vers le milieu du 17ème siècle, "Messire Nicolas de Bosquemare, chevalier, seigneur d'Ozenbray, conseiller du roi en ses conseils, président aux Requêtes du Palais à Paris et y demeurant est devenu adjudicataire par décret des héritages et autres biens meublés des sieuries de Taon et de Normanville. Sa veuve "noble dame Catherine Voisin", en a joui probablement jusqu'en 1727, époque vers laquelle elle est morte, ayant pour héritier le vicomte "du Chaslo" ou "du Chasla" ou "du Chayla".

Gilles de la Roche en est devenu alors le possesseur. Gilles de la Roche a eu un fils, Jacques de la Roche de Normanville, qui, né en 1723, est mort à Vierville en 1789.

Sa fille, Marie Madeleine Félicité de la Roche de Normanville, a épousé Pierre Nicolas de Marguerit de Rochefort, chevalier, seigneur et patron de Rochefort, Clouay, Bernesq-Savigny et Cavelande, dont les terres et seigneuries se trouvaient à Rochefort, Clouay, St-Jean de Savigny, etc., sur les bords de l'Elle, près de St-Clair, sur les confins du département de la Manche. Ce sont eux qui ont été probablement les bâtisseur du manoir détruit en 1944.

Pierre-Nicolas de Marguerit de Rochefort, né en 1747, est mort à Vierville le 7 mai 1817; sa femme Félicité de la Roche de Normanville, née en 1749 à la Cambe, est morte à Vierville et y a été inhumée le 23 décembre 1829.
Depuis 1727, le domaine de Thaon est resté dans la famille de Marguerit de Rochefort jusqu'à Mme Marie-Noëmi de Marguerit de Rochefort, comtesse de Goussencourt, qui en était la propriétaire jusqu'à la vente vers 1938 à M. et Mme Poivre, dont la fille Mme Thérèse Chedal-Anglay est l'héritière du domaine.

Connaissant les lieux et leurs propriétaires, voyons maintenant quelles personnes les habitaient à l'époque de la Révolution où le manoir est entré dans l'histoire à l'occasion de l'évasion du Confesseur de Louis XVI, l'abbé Edgeworth de Firmont.

En 1796, au château de Vierville, demeurait Gilles-Edouard de Marguerie, vieillard de 87 ans, qui passait sa vie entre Vierville et Bayeux, où il mourut en 1802 et d'où son corps fut ramené pour être inhumé au cimetière de Vierville. Son fils Edouard-Marie de Marguerie avait été guillotiné en 1793. Il avait laissé une femme et deux enfants, que l'aïeul avait très probablement recueillis.

              Pendant ce temps, au Manoir de Thaon (alias château de Rochefort) demeurait Marie-Félicité de la Roche de Normanville, âgée de 46 ans, épouse de Pierre Nicolas de Marguerit de Rochefort, qui avait émigré. Elle avait auprès d'elle ses deux enfants, Marie-Félicité-Constance-Aimée, alors âgée de 18 ans et Louis-Henri-Victor-Frédéric, qui avait une dizaine d'années. Pour sauvegarder ses biens, elle avait dû demander le divorce, qui avait été prononcé le 31 Octobre 1792.

[Ces divorces d'émigrés, qui, dans cette région furent assez nombreux, eurent dans certains cas des conséquences inattendues. Quand les maris rentrèrent en France et reprirent leur place à leur foyer, ils se soucièrent peu du divorce qui légalement avait disloqué leur famille. Cela n'eut guère d'importance, quand les conjoints étaient assez âgés pour ne plus avoir de postérité nouvelle; mais quand le ménage était encore jeune, des enfants arrivèrent qui, aux termes de la loi, n'étaient plus que des bâtards. On imagine sans peine la multitude de formalités légales qui durent être accomplies pour en obtenir la légitimation.]

Entre les deux familles voisines, l'intimité était grande. C'était au manoir de Thaon que descendait, lors des séjours intermittents et furtifs que lui permettait son état d'émigré (et de chouan) un membre de la famille de Marguerie, qui a joué un rôle important dans les préparatifs d'évasion de l'abbé Edgeworth. C'était le comte Henry de Marguerye. Jacques Bertin Louis Henry, comte de Marguerye, était né le 8 Février 1764 à Buscagny, près de Vassy, du mariage de Louis Henry de Marguerye d'Hérouville avec Marie-Charlotte de Malfillastre (de Vassy).

Son père, resté veuf de bonne heure avec deux fils, Henry et Charles, entra dans les ordres. Une fois ordonné prêtre, il fut nommé à la cure de Vierville par son parent, Gilles Edouard de Marguerie, seigneur et patron de la paroisse. Il y mourut empoisonné par mégarde en 1785 (journal manuscrit de l'abbé Le Paulmier, émigré, dont nous devons la communication à la grande obligeance de M. l'abbé Robert).

(Plus tard le comte Henry de Marguerie épousa, le 9 janvier 1798, Marie Félicité Constance Aimée de Marguerit de Rochefort, fille de la châtelaine de Thaon. Il mourut à Vierville le 8 mars 1836. Nous avons la preuve du rôle actif qu'il joua dans les évasions de l'abbé Edgeworth )

Auprès de ces familles royalistes, éprouvées par la Révolution, comptant parmi leurs membres des officiers aux armées du Roi, des dignitaires des Ordres royaux, des émigrés, voire même des guillotinés, l'abbé Edgeworth trouvait une protection toute naturelle. A Vierville, il arrivait donc dans un milieu très disposé à lui offrir un abri et à faciliter son évasion.

Ce fut au manoir de Thaon qu'il demeura (quelques mois en 1796). On peut y voir encore la disposition de l'endroit où une cachette lui avait été ménagée. En dehors des alertes, l'abbé vivait de la vie de ses hôtes et l'on dit même qu'on lui avait ménagé un petit oratoire, où, sans aller à l'église paroissiale, il pouvait dire sa messe. Dans sa retraite de Bayeux, l'abbé était connu sous le nom de M. Henri. A Vierville, on l'appelait M. Charles.

Le manoir de Thaon avait deux ailes. L'abbé Edgeworth était dans une chambre de l'aile Sud. Un placard ordinaire, dont le fond était modifié dissimulait une cachette pour l'Abbé en cas de fouilles.

Au manoir de Thaon, la " cachette " était représentée en 1938 par une antichambre "A".

A droite, plan (1938) de l'aile Sud du manoir de Than, au 1er étage, le parc est à l'Est. La chambre de gauche (1) aurait été celle de l'Abbé Edgeworth. On y voyait le cabinet de toilette qui a remplacé le placard-cachette. Le placard pourrait avoir été en (B) et la cachette en (C), la communication entre la chambre de gauche (1) et la chambre de droite (2), en (C), aurait été fermée du côté de (2) par les boiseries qui couvraient les murs à cette époque.

 

 

Vis-à-vis du manoir de Thaon, au-delà de la route sur laquelle donnait la cour d'honneur, étaient de petites maisons basses, dont certaines existent encore. Une de ces maisons était habitée par des républicains rigoristes qui employaient leur temps à inspecter tout ce qui pouvait se passer d'anormal dans le château. Cela fit que souventes fois, soupçonnée et dénoncée, Mme de Marguerit de Rochefort fut l'objet de perquisitions désagréables. On cernait tout à coup la maison, on fouillait tout, on trouvait quelque objet pouvant passer pour un emblème séditieux, on le saisissait et on s'en allait.

Voici d'après un journal du temps (Gazette du Calvados, 25 pluviose an VI n* 256.) le récit d'une de ces perquisitions:

                "L'Administration centrale de ce département arrêta dernièrement qu'il serait fait une visite domiciliaire dans le ci-devant Château de Rochefort, situé commune de Vierville, canton de Trévières. Elle avait été bien instruite qu'il recelait ordinairement des émigrés; elle savait aussi qu'il était le point de communication des Anglais avec leurs agents en France et autres ennemis de la République et qu'il devait y exister un dépôt d'armes.

                "Quoique cette mesure eut été concentrée dans le plus profond secret et conduite avec beaucoup d'intelligence, elle n'a pas produit un résultat aussi heureux qu'on avait lieu de l'attendre.

                 "On a cependant trouvé chez la femme Rochefort plusieurs emblèmes de la royauté; entre autres, la figure de Capet en silhouette, une médaille d'argent suspendue à un ruban noir représentant la France fleurdelysée arrosant de pleurs une urne cinéraire avec cette inscription: "Pleurez et vengez-le" ; en haut un nuage laissant échapper la foudre en éclairs: au bas est cette inscription: Le XVI janvier MDCCXCIII. On voit sur le revers le buste du dernier roi au pied duquel on lit: "Louis XVI, roi de France, immolé par les factieux". On a également découvert dans cette maison une infinité de caches, pratiquées soit dans les lambris ou parquets, soit dans les planchers. On y saisi quantité de papiers et titres féodaux. Quelques jours avant cette expédition, des noces avaient été célébrées dans le même château. Plusieurs émigrés des îles Saint-Marcouf y avaient assisté; il serait à désirer que des républicains y eussent été envoyés pour chanter l'épithalame."

C'était le mariage du comte Henry de Marguerye et de Constance Aimée de Marguerit de Rochefort auquel il était ainsi fait allusion. Il avait été célébré le 17 nivose an VI (1798).

Malgré ces alertes répétées, on n'a gardé le souvenir d'aucune fin tragique de ces perquisitions. Disons même que parmi les gardes républicains requis pour ces opérations, certains n'étaient pas serviteurs très fervents du régime, car on rapporte qu'au cours de l'une d'elles, un proscrit s'étant réfugié précipitamment et maladroitement dans un arbre, le garde posté au pied le prévint charitablement qu'on le voyait trop et qu'il prît soin de se mieux dissimuler dans le feuillage.

On s'explique ainsi que dans nos campagnes les proscrits aient pu vivre sans alarmes trop vives et faire les démarches nécessaires à leur évasion.
Evadé le 20 Août 1796, arrivé à l'île St-Marcouf le 21, l'abbé Edgeworth, par les soins du capitaine Douglas Price, put gagner Portsmouth le 25 Août.""