643 Le manoir de Thaon (extraits et adaptations des Notes Historiques sur le Bessin et de la Statistique Monumentale du Calvados par Arcisse de Caumont) Voir les cartes postales et photos diverses du manoir Résumé de l'histoire du manoir de Than A la fin du 18ème siècle, parmi les divers châteaux et manoirs existants Vierville, 2 d'entre eux étaient construits au voisinage immédiat du centre du bourg de Vierville: le château de Vierville et le manoir de Than, dont les parcs étaient séparés seulement par une voie étroite entre deux grands murs. Celui de Vierville datait déjà d'un siècle lorsque la première pierre du manoir de Than fut posée en 1791 par le propriétaire du domaine, Monsieur de Rochefort, sur un plan régulier bien de son époque (par exemple le château de Barbeville près de Bayeux). Voici
ce qu'en disait un document publicitaire de 1932:
Le
plan du manoir comprenait une partie centrale avec deux ailes symétriques,
faisait face à une cour d'honneur côté Ouest avec une grille
d'entrée donnant sur le seul chemin conduisant à l'époque
à l'église de Vierville en venant de Louvières ou Formigny. Le corps central possédait un perron à double rampe, flanqué de deux ailes, au fond d'une cour d'honneur fermée d'une grille à pilastres. Derrière, se trouvaient des pelouses et des jardins. La façade
Est du manoir avec ses ouvertures irrégulières, ses murailles grises, sa porte
blanche en haut d'un petit perron était moins solennelle et beaucoup plus
pittoresque que celle qui donnait sur la cour d'honneur. Mais, en 1835, une autre route
plus importante fut tracée - (la route départementale actuelle
de Vierville à Formigny). Comme elle contournait le parc, le manoir
put être beaucoup plus commodément desservi par elle. Cette disposition a fait
que le passage par la cour d'honneur est peu à peu tombé en désuétude: on accédait
depuis au château par une grille donnant sur cette nouvelle route, d'où l'agréable
obligation de traverser le parc pour parvenir à l'habitation. Le manoir est restée jusqu'en 1944 telle qu'il avait été édifié, sauf l'aile Nord, qui, ayant été en grande partie détruite en 1907 par un incendie, a été transformée en une aile couverte d'une terrasse à balustres à l'italienne.
En juin 1944 le manoir du 18ème
siècle a été détruit complètement lors des
combats et n'a pas été reconstruit. Les bâtiments
de ferme ont alors réaménagés en habitation principale (tableau
ci-dessous, de Martine Rocher, fille de Jean-Pierre et Thérèse Chedal-Anglay).
L'accès principal est maintenant à nouveau assuré par le
chemin de la "Chasse au Frêne" Les propriétaires successifs du domaine de Than (Voir le tableau généalogique) ""Au
17ème siècle, Thaon et Normanville appartenaient à Jean de Breteuil
(ou de Brétheuille) écuyer. Gilles de la Roche en est devenu alors le possesseur. Gilles de la Roche a eu un fils, Jacques de la Roche de Normanville, qui, né en 1723, est mort à Vierville en 1789. Sa fille, Marie Madeleine Félicité de la Roche de Normanville, a épousé Pierre Nicolas de Marguerit de Rochefort, chevalier, seigneur et patron de Rochefort, Clouay, Bernesq-Savigny et Cavelande, dont les terres et seigneuries se trouvaient à Rochefort, Clouay, St-Jean de Savigny, etc., sur les bords de l'Elle, près de St-Clair, sur les confins du département de la Manche. Ce sont eux qui ont été probablement les bâtisseur du manoir détruit en 1944. Pierre-Nicolas
de Marguerit de Rochefort, né en 1747, est mort à Vierville le 7 mai 1817; sa
femme Félicité de la Roche de Normanville, née en 1749 à la Cambe, est morte à
Vierville et y a été inhumée le 23 décembre 1829. Connaissant les lieux et leurs propriétaires, voyons maintenant quelles personnes les habitaient à l'époque de la Révolution où le manoir est entré dans l'histoire à l'occasion de l'évasion du Confesseur de Louis XVI, l'abbé Edgeworth de Firmont. En 1796, au château de Vierville, demeurait Gilles-Edouard de Marguerie, vieillard de 87 ans, qui passait sa vie entre Vierville et Bayeux, où il mourut en 1802 et d'où son corps fut ramené pour être inhumé au cimetière de Vierville. Son fils Edouard-Marie de Marguerie avait été guillotiné en 1793. Il avait laissé une femme et deux enfants, que l'aïeul avait très probablement recueillis. Pendant ce temps, au Manoir de Thaon (alias château de Rochefort) demeurait Marie-Félicité de la Roche de Normanville, âgée de 46 ans, épouse de Pierre Nicolas de Marguerit de Rochefort, qui avait émigré. Elle avait auprès d'elle ses deux enfants, Marie-Félicité-Constance-Aimée, alors âgée de 18 ans et Louis-Henri-Victor-Frédéric, qui avait une dizaine d'années. Pour sauvegarder ses biens, elle avait dû demander le divorce, qui avait été prononcé le 31 Octobre 1792. [Ces divorces d'émigrés, qui, dans cette région furent assez nombreux, eurent dans certains cas des conséquences inattendues. Quand les maris rentrèrent en France et reprirent leur place à leur foyer, ils se soucièrent peu du divorce qui légalement avait disloqué leur famille. Cela n'eut guère d'importance, quand les conjoints étaient assez âgés pour ne plus avoir de postérité nouvelle; mais quand le ménage était encore jeune, des enfants arrivèrent qui, aux termes de la loi, n'étaient plus que des bâtards. On imagine sans peine la multitude de formalités légales qui durent être accomplies pour en obtenir la légitimation.] Entre les deux familles voisines, l'intimité était grande. C'était au manoir de Thaon que descendait, lors des séjours intermittents et furtifs que lui permettait son état d'émigré (et de chouan) un membre de la famille de Marguerie, qui a joué un rôle important dans les préparatifs d'évasion de l'abbé Edgeworth. C'était le comte Henry de Marguerye. Jacques Bertin Louis Henry, comte de Marguerye, était né le 8 Février 1764 à Buscagny, près de Vassy, du mariage de Louis Henry de Marguerye d'Hérouville avec Marie-Charlotte de Malfillastre (de Vassy). Son père, resté veuf de bonne heure avec deux fils, Henry et Charles, entra dans les ordres. Une fois ordonné prêtre, il fut nommé à la cure de Vierville par son parent, Gilles Edouard de Marguerie, seigneur et patron de la paroisse. Il y mourut empoisonné par mégarde en 1785 (journal manuscrit de l'abbé Le Paulmier, émigré, dont nous devons la communication à la grande obligeance de M. l'abbé Robert). (Plus tard le comte Henry de Marguerie épousa, le 9 janvier 1798, Marie Félicité Constance Aimée de Marguerit de Rochefort, fille de la châtelaine de Thaon. Il mourut à Vierville le 8 mars 1836. Nous avons la preuve du rôle actif qu'il joua dans les évasions de l'abbé Edgeworth ) Auprès de ces familles royalistes, éprouvées par la Révolution, comptant parmi leurs membres des officiers aux armées du Roi, des dignitaires des Ordres royaux, des émigrés, voire même des guillotinés, l'abbé Edgeworth trouvait une protection toute naturelle. A Vierville, il arrivait donc dans un milieu très disposé à lui offrir un abri et à faciliter son évasion. Ce fut au manoir de Thaon
qu'il demeura (quelques mois en 1796). On peut y voir encore la disposition de
l'endroit où une cachette lui avait été ménagée. En dehors des alertes,
l'abbé vivait de la vie de ses hôtes et l'on dit même qu'on lui avait ménagé un
petit oratoire, où, sans aller à l'église paroissiale, il pouvait dire sa messe.
Dans sa retraite de Bayeux, l'abbé était connu sous le nom de M. Henri.
A Vierville, on l'appelait M. Charles.
Vis-à-vis du manoir de Thaon, au-delà de la route sur laquelle donnait la cour d'honneur, étaient de petites maisons basses, dont certaines existent encore. Une de ces maisons était habitée par des républicains rigoristes qui employaient leur temps à inspecter tout ce qui pouvait se passer d'anormal dans le château. Cela fit que souventes fois, soupçonnée et dénoncée, Mme de Marguerit de Rochefort fut l'objet de perquisitions désagréables. On cernait tout à coup la maison, on fouillait tout, on trouvait quelque objet pouvant passer pour un emblème séditieux, on le saisissait et on s'en allait.
Malgré ces alertes répétées, on n'a gardé le souvenir d'aucune fin tragique de
ces perquisitions. Disons même que parmi les gardes républicains requis pour
ces opérations, certains n'étaient pas serviteurs très fervents du régime, car
on rapporte qu'au cours de l'une d'elles, un proscrit s'étant réfugié précipitamment
et maladroitement dans un arbre, le garde posté au pied le prévint charitablement
qu'on le voyait trop et qu'il prît soin de se mieux dissimuler dans le feuillage. On s'explique ainsi que dans nos campagnes
les proscrits aient pu vivre sans alarmes trop vives et faire les
démarches nécessaires à leur évasion.
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