6433 Le manoir de Than pendant la guerre
Le
manoir de Than est resté jusqu'en septembre 1943 occupé par ses
propriétaires, la famille Poivre, qui résidait à Paris, mais
venait encore pour les vacances à Vierville. Seule la plage était
interdite aux civils depuis l'été 43. En septembre 1943, les Allemands ont réquisitionné tout le manoir pour en faire la Kommandantur de Vierville et le PC de la 11ème Compagnie du Régiment de Grenadiers 726 (de la 716ème division d'Infanterie Allemande). Ils
y ont fait creuser, par des corvées de Français requis, de très
nombreux abris.
Michel Hardelay raconte comment il a creusé lui aussi: "Comme requis pour une corvée, j'avais travaillé à l'excavation (d'une casemate bétonnée) avec sept autres hommes, dont les deux stagiaires à maître François (F.de Bellaigue), aux noms bien français (c'était semble-t-il des anglais fugitifs, cachés par les De Bellaigue), l'aubergiste et son commis, et deux charretiers qui transportaient la terre extraite. Le feldwebel qui nous commandait nous avait dit de creuser jusqu'à la nappe d'eau ; on devait la trouver à deux mètres vingt-cinq, mais j'eus l'occasion de revenir au cours d'une permission au printemps 1945 (MH s'était engagé dans l'armée pour la fin de la guerre), je constatais que l'eau recouvrait la deuxième marche de l'escalier de descente. En attendant le retour du feldwebel venant constater que le plus bas niveau était atteint, j'avais, avec de la glaise jaune du trou fait la tête d'Hitler, assez ressemblante. Je l'ai conservée en souvenir." "Les Allemands avaient creusé dans le mur clôturant le parc du Manoir de Than quatre meurtrières leur permettant de tirer aussi bien en direction du carrefour de la poste que des virages et du cimetière" Les Allemands ont aussi installé une grande plateforme tout en haut du très grand et très vieux cyprès de la propriété. Cette plateforme servait de poste d'observation et elle était équipée d'une mitrailleuse antiaérienne.
On n'a pas de récit de ce qui s'est passé les 6 et 7 juin au manoir. Il est probable que le domaine était resté sous la garde de quelques Allemands non envoyés prendre un poste de combat sur lacôte. Les Américains ont pu facilement le négliger dans la confusion du jour J où ils étaient dispersés en petits groupes sans directives, à part l'ordre général d'origine d'avoir à se regrouper du côté de Louvières (pour le 116ème Régiment), ou d'aller à la Pointe du Hoc (pour les Rangers). Il est certain néanmoins que des combats y sont survenus, surtout le 7 juin, et que le manoir n'a pas été détruit par de l'artillerie mais a été incendié. Les Américains utilisaient souvent cette méthode pour chasser les Allemands d'une maison. Voici le récit du Sergent Dube (du 121ème bataillon du Génie de Combat de la 29ème division). Dube avait débarqué le 6 juin sur la plage, un peu avant St-Laurent, avait participé à la destruction du mur antichar de Vierville, puis avait bivouaqué dans un champ proche de Vierville au Sud Ouest. Après de nombreuses péripéties au cours de la journée du 7 juin, il poursuit: "Avant
la fin de la journée (du 7 juin), nous nous sommes accrochés
avec quelques Allemands que j'avais vus en train d'installer une mitrailleuse
au coin d'un petit champ derrière une ferme. Quelques instants après
2 Américains sont passés, l'un d'eux avec une mitrailleuse cal.30.
Je les ai arrêtés au coin du champ, à l'opposé des
Allemands et ils se mirent en batterie pour les engager. Je ne me souviens pas qui a tiré le premier, mais entre temps 3 jeunes filles Françaises avec leurs petits tabourets étaient entrées dans le champ et avaient commencé à traire les vaches. Quand les mitrailleuses ont commencé, vous auriez cru qu'elles auraient couru vers la maison, non, elles ont juste continué à traire les vaches comme si les mitrailleuses n'étaient pas là. En y repensant, c'est probablement ce qui les a sauvé, car il semble bien que les mitrailleurs des 2 bords faisaient bien attention de ne pas toucher les jeunes filles ou les vaches, tout en arrosant de leurs balles tout autour. Je n'ai jamais vu ça ailleurs dans ma vie. Maintenant peut-être que si elles s'étaient levées pour courir vers la maison, elles auraient pu être touchées et tuées par les balles qui balayaient partout. Nous sommes arrivés dans cette large allée avec des grands arbres formant voûte. L'allée conduisait à ce château (le manoir de Than, il n'était peut-être pas encore incendié à ce moment??) qui, je l'ai su plus tard, servait de PC aux Allemands dans Vierville (c'était le PC de la compagnie 11/726, et aussi la Kommandantur). Sur le côté droit de cette allée, il y avait un abri contre les bombardements, j'ai cru, vu sa taille, qu'il devait avoir été fait pour toute la communauté. J'ai compris en revenant en juin dernier pour le 45ème anniversaire, que l'abri était seulement pour les Allemands qui vivaient dans le château. La blonde dont on me parlait toujours était une femme qui vivait avec eux. Pendant que j'étais dans l'allée avec quelques Français essayant d'avoir des informations sur les Allemands, je me suis fait tirer dessus par un sniper dans les arbres au dessus de l'allée. Le coup s'est écrasé sur le sol à mes pieds. Un Américain voisin a entendu le coup, regardé en l'air et vu le sniper. Il a tiré et le sniper est tombé, mais s'est accroché dans les branches. Peu après, la femme avec qui je parlais me dit de regarder derrière, que la fille blonde s'approchait. J'attendis qu'elle arrive et je la fis emmener par des soldats Américains à la plage comme prisonnière, après avoir discuté avec elle."
Michel
Hardelay est allé, dès le lendemain 8 juin
dans la matinée, au manoir de Than, envoyé par le Maire M. Leterrier,
pour accompagner le Capitaine Gardiner (des Civils Affairs). " ... mais on ne décelait aucune trace de combat sur la route. Nous avançâmes jusqu'à l'entrée du parc (celle qui donne sur la grande route à l'Est du manoir); une des grilles de l'entrée était sur le sol et était pliée, on pouvait apercevoir les traces d'un engin à chenilles mais celui-ci avait fait demi-tour au bout d'une dizaine de mètres. (peut-être un char Américain) Au pied du deuxième arbre bordant l'allée, à gauche, se tenait un soldat (Américain) dans la position du tireur à genoux, mais sa carabine était tombée à côté de lui; il avait reçu une balle mortelle alors qu'il cherchait probablement un tireur caché dans l'arbre (le très grand cyprès du parc) où était nichée une mitrailleuse (placée tout en haut, la vue donnait sur Vierville et la mer). Le capitaine Gardiner ramassa la carabine et détacha la cartouchière. Les restes calcinés du manoir se dressèrent bientôt devant nous. Il n'en sortait aucune fumée ; avait-il brûlé le 6 ou le 7, qui l'avait incendié ? Un bazooka armé, la gâchette retenue par un bout de carton blanc était posé à l'angle gauche des murs,sur une sorte de borne nous jetâmes un coup d'il sur les deux casemates bétonnées, contiguës à la maison des gardes. (ces casemates que Michel Hardelay avait aidé à creuser) Nous continuâmes vers les communs: dans une remise ouverte à gauche de l'entrée postérieure, on avait placé le corps du feldwebel sur une porte supportée par deux tréteaux; sa croix de fer avait été disposée bien en vue sur sa poitrine. Nous avançâmes jusqu'à l'entrée donnant sur la route desservant le quartier du "Maroc". Deux Allemands gisaient dans le retour du mur, à droite. L'un était très jeune, l'autre avait des cheveux gris. Ils tenaient leurs fusils à la main pointés vers le Nord, le capitaine ramassa les deux Mauser et les cartouchières. Je lui proposai d'en porter une partie ; il me répondit qu'un civil ne devait pas porter d'armes cependant, un peu plus tard, en ayant encore récupérées il consentit à me donner les cartouchières. Nous refîmes le trajet inverse et regagnâmes la route de Formigny nous longeâmes la propriété de la famille Y. (Ygouf, le château des Isles), incendiée la veille, passâmes devant l'entrée de l'Ormel sans y rentrer et arrivâmes à la route du Vaumicel. " Après les combats, les Américains, qui avaient besoin de matériaux pour empierrer des routes nouvelles, ont rapidement abattu les murs pour en concasser les moellons. Il n'est rien resté sinon les fondations et quelques murs bas. Il n'a pas été reconstruit. Les bâtiments de ferme ont alors été réaménagés, formant une belle habitation principale.
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