LA
VILLA « LES MOULINS » 7271
- De la plage des Sables d’Or à l’épopée du débarquement à Omaha Beach Le
23 mars 1883, Félix Bourdoux, habitant Paris, achète
deux anciens moulins à blé à Saint-Laurent sur Mer, dans le bas
du village, à 300 mètres de la plage pour
en faire un lieu de villégiature pour sa famille sur la côte normande..
La roue du « moulin d’en haut » alimentée par l’eau du bief,
fonctionna jusqu’à la guerre. Il aménagea, dans les années qui suivirent, «
le moulin d’en bas » en adossant à la partie ancienne (sans doute
du 16ème siècle) une villa du type de celles qui se construisaient
alors sur la côte, en pierre avec un appareillage en briques roses, flanquée
de deux tourelles, dont l’une fut détruite pendant la guerre.
Cette
propriété reste l’un des rares témoins des villas de l’époque de l’entre-deux-guerres,
où la plage des Sables d’Or était devenue à la mode. Les
générations se succèdent, avec la même passion pour les roses du jardin
dont la colline était couverte jusqu’à la guerre, les plantations et la
pêche sur la plage proche. C’était l’époque où tout le monde se connaissait
entre le haut du village et le bas en bord
de la mer.
Pendant
la guerre, Henri Bourdoux, fils de Félix ,et
sa femme Octavie, née au Névada, quittèrent Paris et s’installèrent à
St Laurent avec leur fille Odette Benoist, dont le mari officier était
prisonnier en Allemagne, et leur petit-fils Michel, pour se réfugier dans
une région que la famille pensait plus sûre. La
maison fut occupée par les Allemands et la famille, comme toutes les autres,
réduite à n’en occuper qu’une partie.
Au
printemps 1944, Rommel donna l’ordre de faire sauter les maisons du bord
de mer pour dégager les champs de tir. Odette et ses parents quittèrent
la région pour ne pas voir sauter leur maison. Mais, miraculeusement,
l’ordre s’arrêta à la propriété, qui adossée à la colline et en retrait
de la mer, ne gênait pas la visibilité. Elle tînt donc debout.
Lorsque
les américains débarquèrent, leurs tirs n’atteignirent qu’une des deux
tourelles et la maison fut sauvée.
Le
lendemain du débarquement, la propriété fut occupée pendant 5 mois par
un détachement médical, composé de 17 hommes, issu du 149ème
bataillon de combat du génie, une des composantes de la 6ème
Brigade spéciale du génie, au sein de la première
division américaine.
La
famille connaissait cet épisode sans jamais avoir rencontré l’un d’entre
eux. Aussi quelle ne fut pas sa surprise de voir frapper à la porte du
jardin le Lieutenant-Colonel Alfred Eigenberg, un dimanche de juin 1999,
55 ans plus tard. Il n’était jamais revenu depuis le temps où il servait
comme sergent-chef dans cette unité, à l’âge de 19 ans. Il revivait dans
ses moindres détails, avec émotion, la vie dans cette maison transformée
alors en hôpital. Il partagea ses souvenirs avec Michel, âgé de 11 ans
à l’époque. Tout avait changé mais il se souvenait du sol du salon devenu
dortoir de malades dont le carrelage était le même et qu’ils nettoyaient
tous les soirs, de l’emplacement de l’ancienne cuisine transformée en
salle d’opération, du moulin d’en haut devenu station radio et service
de renseignement.
Il
fit le tour du jardin, en évoquant les heures de déminage. Ils avaient
ordre de se méfier de tout et ne devaient pas ouvrir intempestivement
un robinet au risque qu’il ne soit piégé. Tels étaient les ordres dans
toutes les maisons.
Mais
quel ne fut pas l’étonnement de Michel lorsqu’ Alfred demanda à visiter
la cave, qui était alors remplie de boue, car jouxtant le ruisseau qui
coule ensuite sous la maison. Dans cette cave, aujourd’hui accessible
à la suite de la mise en place d’une pompe, se trouvait un casier à bouteilles
qui dépassait de la boue. Les Américains se sont dit qu’avec les Français,
il pouvait y avoir quelques bonnes bouteilles. Seaux et pelles ont permis
de vider rapidement la boue. Point de bouteilles, mais la découverte d’un
autre casier, au fond de la cave,avec des boîtes qui les intriguèrent. Après
une inspection plus approfondie, ils virent qu’elles contenaient 50 kg
de dynamite avec une mise à feu programmée prévue pour se déclancher au
bout de huit jours. Ils l’ont bien sûr immédiatement désamorcée.
Il
a fallu attendre 55 ans pour découvrir la
raison véritable pour laquelle cette villa, proche de la mer, n’avait
pas été détruite. La dynamite avait été installée dans cette maison, comme
dans les autres, sur ordre de Rommel, mais elle n’avait pas été utilisée,
comme raconté plus haut. Les Allemands, en s’enfuyant de la propriété
qu’ils occupaient le jour du débarquement, ont probablement inventé ce
stratagème, heureusement déjoué, pour faire sauter la maison lorsqu’elle
serait occupée par les américains.
Ce
bataillon américain a été décoré de la Croix de Guerre française et de
la « Distinguished Unit Citation » américaine pour son comportement
héroïque en Juin 1944.
La
station d’aide médicale a bénéficié également, à l’époque, à la population
locale. Deux anciens du village se souviennent encore aujourd’hui avoir
été soignés par le dentiste américain de l’unité après le débarquement.
Cette
maison, si fortement liée par son histoire à l’Amérique, a retrouvé depuis
longtemps son rôle paisible et familial, mais elle restera toujours ouverte
et accueillante à nos amis vétérans, à leurs familles et à leur souvenir.
Printemps
200, témoignage de Marie-France Benoist, veuve de Michel Benoist.
En
accord avec Alfred Eigenberg qui a avalisé la version anglaise de
ce texte. Saint-Laurent sur Mer, Omaha-Beach |