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Lettres écrites de Vierville pendant la guerre en 1939 et 1940

Ces lettres ont été écrites par une parisienne réfugiée à Vierville depuis septembre 1939. Elle écrivait régulièrement à son fils, qui vivait à l'époque loin de la France. La plupart de ses lettres ont été conservées et les extraits ci-après contiennent des éléments qui peuvent servir à comprendre la vie du village à cette époque.

 

Lettres de Madame MH (à Vierville) à son fils JH (en Amérique du Sud)

le vendredi 1er septembre 1939
Extraits

... tout le pays est l'arme au poing ; le village se vide de tous les hommes disponibles depuis quelques jours ; il ne restera plus bientôt que les tout jeunes et les vieux.
...... Notre Phil part au 1er coup de gong de la mobilisation générale.   En fait celle-ci existe sans que le mot ait été prononcé. On évacue Paris de tous les petits, nous avons reçu et installé hier dans les petits hôtels que vous savez 50 tout petits entre 2 et 5 ans accompagnés de femmes de service et d'institutrices que des gens de bonne volonté (dont vos 2 beaux-frères) sont allés chercher à la gare de Bayeux. Il y avait là tout un train arrivé avec mille enfants à répartir dans l'arrdt. de Bayeux. Tout s'est passé dans le plus grand ordre, les petits ayant leur nom, leur destination, leur adresse inscrits sur une plaque métallique et attachée au cou . J'avais reçu le matin la visite d'une déléguée de la Croix-Rouge et mes 2 filles s'étaient mises à sa disposition pour l'aider à recevoir, à caser tout ce petit monde. Notre brave Dubois/ (le maire de Vierville) /avait du reste mis beaucoup d'activité à organiser lits et chambres, et dès hier soir tout ce petit monde dormait paisiblement après avoir été se promener sur le « beau sable » et vu « la grande Seine » ; Ce sont tous des petits du 4ème Arrdt - pas riches !
....Nous en aurons d'autres, toutes les maisons vides sont réquisitionnées ici, tant pour les enfants que pour les habitants évacués. Strasbourg l'est en partie, et nous avons ici des Messins venus pour leur propre compte, quand il était encore facile de voyager.

… notre vie n’est faite que des inquiétudes de tous ; il y a ici plusieurs jeunes mamans que les maris ont dû quitter ; j’en ai vu 2 qui se trouvent sans le sou ; je les ai renvoyées avec un viatique qui leur permettra d’envoyer quelques mandats au papa parti la bourse vide. Je reste en communication avec le brave Dubois, qui peut me signaler les misères et la charmante Huet (l’institutrice) revenue de ses vacances écourtées pour tenir sa place ici, c’est une brave fille.

Le fils de Jeanne (qui faisait son service militaire) écrit de Maubeuge qu’ils sont prêts à partir et que cela ne tardera guère. La pauvre maman pleure silencieusement.

mon Docteur (Lehoux, à Trévières)doit être parti également, c’est une jeune Doctoresse choisie par Lehoux qui viendra le remplacer à Trévières . Il en dit beaucoup de bien.

Même jour 15h, ma lettre interrompue par le déjeuner l'a été aussi par le décret de mobilisation générale. C'est donc la guerre...Demain Phil nous quitte et sans doute JC. Je n'ai pas besoin de vous dire ce que nous ressentons tous.....

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Vendredi 7 septembre 39   Extraits
Mes enfants chéris,  je suis prévenue que le courrier avion est supprimé, il ne reste donc que les bateaux lesquels partiront… et arriveront on ne sait plus quand. Je suis sans nouvelles de vous, et cela m’est bien pénible ......

…….La mobilisation s'est terminée hier dans le plus grand calme, les hommes sont partis sans une récrimination, les femmes ont retenus leurs larmes.
Nous travaillons et tricotons à force pour tous les petiots qui sont ici. Samedi vos sœurs ont été aider à installer 80 petiots évacués de Paris. Piprel leur avait préparé chambres et lits, il les nourrit pour une somme qui ne lui permet pas de s’enrichir et déjà ces petits ont meilleure mine, leurs éclats de rire  font plaisir à entendre ; Ce sont des enfants du 4ème (Bastille) – tous pauvres- , il a fallu en reconduire qq uns à l’hôpital de Bayeux, E. est la complaisance même, et son auto a déjà rendu bien des services. Nous attendons 80 femmes et enfants demain, évacués de Vincennes, Legallois, Pignolet, Merlin ont été réquisitionnés pour eux, le 2ème seul consent à les nourrir, les autres donnent le logement. Les femmes s’arrangeront avec des vivres que fournira le village, en attendant les allocations qui seront distribuées à la fin du mois.

Mlle Huet s’emploie le plus intelligemment du monde et avec un dévouement inaltérable à contenter tout le monde et son père ce qui est bien difficile. Notre maire  est parti lui aussi…et notre brave Muscadet (le cheval) que HN a été conduire hier matin à Trévières d’où il a été dirigé immédiatement en troupe vers Caen . Je le regrette, mais qu’est ce que cela à côté du sacrifice de tant de mères, de tant de femmes ! …..
 
..... Peu ou point de nouvelles du front français et ... les journaux sont censurés impitoyablement, ; et nous ne sommes vraiment au courant... de ce que l'on veut bien nous dire que par la TSF qui nous donne les communiqués officilels plusieurs fois par jour.....

Toutes les villas sont à peu près occupées, et de ce fait on a réglé sévèrement (même dans le village) les éclairages du soir. Notre vieille maison est facile à masquer, dès la nuit c’est le noir le plus complet. Il s’agit de ne pas donner aucune indication aux Boches, déjà on aperçoit longeant la côte les gros cargos, et le sémaphore est peuplé de mathurins ; alors que tous les pêcheurs de Grandcamp ont presque tous repris leurs sacs pour aller s’embarquer sur nos bateaux, il reste les tout vieux  et les trop jeunes qui ont repris les petites barques pour aller pêcher et aider ainsi aux familles des fils qui sont partis ;

Nous ne sommes du reste pas rationnés pour un sou, la nourriture ne nous est pas mesurée, ce qui permet de rassasier nos boys dont l’appétit s’aiguise à l’air du large. Le beurre a diminué sensiblement, les envois sur Paris étant en partie arrêtés, en partie seulement car les trains peuvent emmener les civils jusqu’à impossibilité.

…J’ai reçu ce matin une lettre de la légation Tchécoslovaque me demandant si besoin était, je ne refuserai pas mes conseils et une aide à la femme du secrétaire, envoyée ici avec une dizaine d’enfants dont les pères se sont engagés pour combattre le Boche. Bien sûr !

…Mon jardin est toujours beau, on cueille des poires, j’en enverrai en panier demain aux petits de la plage….

J’ai écrit à tous nos amis, y compris bien entendu à votre maman, ma petite Maine,… aucune réponse. Toutes les lettres arrivent au compte-goutte…

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12 septembre 39, extraits
Notre vie s’écoule lentement ! donc durement malgré nos doigts qui travaillent pour les soldats et les petits. Les petits nous en avons toute une horde installée chez  Piprel, dont les pères sont aux armées, ils ont déjà changé de mine. Nous avons aussi une petite colonie d’enfants tchécoslovaques dont les pères se sont engagés, et dont les mères travaillent à Paris .     ….. J’ai été les voir, ils sont sous surveillance de la femme du secrétaire de chancellerie qui les soigne et les nourrit pour 6F par jour et par tête !!….

Nous ne manquons de rien ici, le beurre et tous les produits du lait ont même baissé, comme à chaque automne.
Le brave Dubois après avoir emmené les chevaux, (réquisitionnés pour l'armée) organise les arrivées des réfugiés, aide chez le boulanger (celui-ci est mobilisé) à faire le pain. Quel brave homme. Chacun aide le voisin de son mieux, ...

........presque toutes les villas sont occupées par les mères, les femmes, les enfants, et les gendarmes ont fort à faire le soir pour faire clore les yeux de toutes ces fenêtres  éclairées. Il ne s’agit pas de faire signe aux Boches.

L’autre jour une forte canonnade au NO nous a fait supposer que celui-ci n’était pas loin. Et le ciel est parcouru  par des escadrilles de gros bombardiers qui surveillent la mer et protègent le débarquement de nos amis d’outre Manche, dont les grosses autos sillonnent  nos routes chargée de matériel et sans doute de « jams » » de ???? et de thé. Quel réconfort de sentir ces braves garçons et leur cavalerie de St-Georges à côté de nous.
J’ai grande envie d’écrire à mon Commodore de Vierville qui peut-être rôde avec son appareil par chez nous que sa vieille maison est prête à l’accueillir dans ses moments de repos….

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Vierville, samedi 16 septembre 1939   (EXTRAITS)

……… Les hommes sont partis, sont remplacés dans nos fermes par les vieux, les femmes et les jeunes. L. est aujourd’hui occupé à engranger chez Dubois, et lundi les 3 boys restant iront rentrer la récolte chez une petite fermière dont le mari est au front.

Pas de nouvelles du fils de Jeanne, c’est bien long, il a dû partir dès le 1er jour pour le front.

Ici nous récoltons des poires, et j’ai pu en envoyer de bons paniers aux petits réfugiés et aussi aux petits tchèques ; il en part aussi dans plus d’une maison du village, et nous tricotons comme des diables , Mme A est pour cela une précieuse aide et enrichit nos provisions de lainages pour l’hiver ; il en faudra beaucoup pour les soldats et les petits ; Il ne s’agit pas de se laisser gagner par le froid.

Tiens ! cela m’amène à vous dire que le bouilleux s’est enfin décidé à venir (c’est un réformé) depuis deux jours mon tonneau de 1400l de gros cidre qui attendait depuis 2 ans s’est mué en 96l de calva exquis, dit-on, et qui ne demande qu’à vieillir . On fêtera la victoire avec, pas mon H. ?  J’en boirai… si Dieu le veut !

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Vierville, mardi 19 septembre 1939   (EXTRAITS)

…. Mon brave (docteur) Lehoux est parti avec le 43ème (le régiment de Caen ?) où il est médecin……….………. Q. a rencontré son régiment l’autre jour sortant de Caen, en excellent ordre de marche, plein aux as de canons et de munitions, tout neuf, soldats, officiers de belle tenue, chevaux en excellent état, Vive la France !……

…. Les Russes sont entrés en Pologne sous prétexte d’y maintenir l’ordre, les malheureux Polonais sont écrasés entre les Boches et les Russes. …

..... Nos amis d’outre mer continuent à débarquer non loin d’ici ; c’est une merveille que de constater leur équipement et leur matériel. Ils s’installent sur la côte Ouest de notre presqu’île, Q. rentrée hier soir en a croisé tout le temps, et les avions nous survolent souvent. Le sémaphore est rempli de vétérans et nos douaniers ont reparu ; on veille aux Boches ; si seulement il y avait un de leurs sous-marin qui s’échoue par ici ! …

Nos garçons aident à la récolte, K. a passé  toute la journée de samedi à engranger chez Dubois ; Il a tenu le coup très vaillamment malgré la tâche rude qui lui incombait.

….. Mr A. et F.  cherchent à louer une maison à Grandcamp. On évacue en partie leur bourgade, il n’y a plus un seul enfant…..

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Vierville, mardi 20 septembre 1939   (EXTRAITS)

 Mes enfants chéris,

On me prévient aimablement de la poste que le courrier avion est rétabli avec vous, sans en savoir le jour, je vous écrit dès maintenant ; nos lettres sur Paris et toute la France sont fort retardées, et pour cause : contrôle et un personnel réduit aux PTT, aux convois, les lettres sont surtout réservées aux soldats, je risquerait en attendant de manquer peut-être ce bienheureux courrier.

Je resterai ici où est ma place, je me dois à bien des misères ici, quand ce ne serait qu’à ces 80 petits de 3 à 6 ans, évacués de Paris et qui sont installés chez Piprel.  Ce sont des enfants pauvres, il faudra beaucoup de lainages cet hiver ; nous tricotons à force et j’ai déjà une bonne provision d’avance.
Nous avons aussi des mobilisés dont les femmes et les petits sont restés quelques uns sans ressources, et l’allocation ne sera remise qu’à la fin du mois.

Georges, le fils de  Jeanne et de Léon a été au front dès la première heure ; il est parti très simplement et avec courage (il était en permission agricole le jour de la mobilisation) mais nous sommes sans nouvelles de lui depuis le 1er, sa pauvre maman et Léon font peine, j’ai bien du mal à les remonter.

…Chacun fait largement son devoir sans plainte, nos boys aident les fermières restées seules à engranger, notre maire fait le pain à l’occasion, aide aux battages, etc.. Mr. Leterrier a vu partir ses 2 fils et son gendre et reste avec 2 fermes importantes sur les bras, beaucoup de parisiens sont revenus avec les petits, occupant les villas de la plage.

Les A. père et fille sont en pourparlers pour  louer une maison à Grandcamp……


Vierville, mardi 26 ( ?) septembre 1939   (EXTRAITS)
… nous avons été sans nouvelles du fils de Jeanne, je ne savais plus comment encourager ces pauvres gens qui n’avaient rien reçu depuis le départ de leur fils. Il est indemne quelque part du côté de la Sarre où l’on se bat ferme.

...... Il est possible aussi que la vieille maison soit réquisitionnée en partie pour des réfugiés, on évacue toute l’Alsace sur le Limousin. Je ferai de mon mieux pour adoucir à ceux qui en auront besoin les tristesses de l’heure. En attendant nous tricotons avec acharnement, les journaux, la TSF réclament que toutes les femmes tricotent en pensant à l'hiver qui s'amène et sera dur pour nos soldats. Et puis nous allons recevoir 100 autres enfants évacués, je ne sais d'où, et qui vont avoir besoin aussi de vêtements chauds... on va les installer chez Merlin, Pignolet, etc, où ils trouveront un accueil confortable, déjà les 40 petits que nous avons depuis 1 mois ont changé de mine.
......Presque toutes les villas de la plage sont occupées par leurs propriétaires, ...
......Nous ne manquons de rien, les prix de la nourriture sont très surveillés, et nos braves gendarmes parcourent nos routes pour veiller à tout. Les convois d'anglais continuent dans le plus bel ordre et munis de splendide matériel à parcourir nos routes, salués par nos paysans, et les avions qui sillonnent le ciel nous avertissent par leur présence continue lorsqu'un débarquement se fait non loin de chez nous. Ils surveillent de haut la mer et le Boche.....

… nos boys continuent à aider dans les fermes où les fermières sont restées seules. Ils sont depuis hier chez la fille de Baurens ( ?) dont le mari mobilisé exploite la ferme de Normanville, aidant à rentrer le sarrasin dans les granges. Ils le font du meilleur cœur, avec gaîté même et on les aime bien. Je pense que demain ils iront à l’Ormel où Leterrier se trouve presque seul pour a faire marcher une ferme de 100 ha,

… Ainsi que vous le savez Caen ne servira pas aux étudiants, toutes les facultés sont transportées ailleurs à cause des hauts-fourneaux et des poudreries qui fonctionnent à plein rendement actionnés par des mobilisés de 40 à 50 ans.

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Vierville, samedi 30 septembre 1939   (EXTRAITS)

.......Notre village est très animé par tous les réfugiés et les petits que l’on nous envoie. On dit, et c’est bien possible que beaucoup des premiers  rentrent chez eux, leur installation dans certaines de nos campagnes étant bien précaire et insuffisante. Le gouvernement réclame en vain que  l’on ne rentre pas à Paris, où d’un moment à l’autre le Boche peut déclencher une offensive meurtrière qui nécessiterait une nouvelle évacuation.

 … j’ai confiance tout de même en notre bon droit pour avoir raison de ces brutes, et en la vaillance de notre armée toujours pleine d’entrain. Les casernes regorgent de soldats réservistes à qui on a permis de venir faire les récoltes et les vendanges, ils aiment mieux cela que d’être inoccupés dans les casernes. On a renvoyé aussi des pêcheurs de Grandcamp inscrits maritimes et partis au 1er jour, mais les bateaux sont au complet, ils sont revenus pour se mettre à la pêche avec l’ordre bien entendu de se tenir à la disposition de l’autorité militaire au 1er appel.

 Aucune restriction jusqu’à présent pour les gens de l’arrière, on dit que la carte d’essence sera instituée au1er novembre. L a facilité qu’on eu vos sœurs avec leurs autos … a bien aidé les choses, car nous n’avons plus qu’un car aller et retour sur Bayeux et les trains sont naturellement réservés aux soldats.

…. La nourriture reste facile ici et sans augmentation, mais il faut s’attendre un jour ou l’autre  à revoir les cartes de pain, de sucre, etc,

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Vierville samedi 7 octobre 1939   (EXTRAITS)

Le discours d’Hitler prononcé hier au Reichstag qui enrage de  ne pas avoir abattu le résolution de ceux qui veulent l’abattre ne nous laisse plus d’illusions sur la façon dont la guerre sera maintenant conduite de la part des Boches. A la TSF on l’entendait vociférer comme un fou…. Comment y a-t-il encore des neutres devant cela ?

… ce ne sont pourtant pas les hommes qui manquent, les casernes et les dépôts regorgent de réservistes, ainsi que l’arrière front, de troupes, à ce point qu’on a pu accorder des permissions pour les récoltes…..La vie même de notre village s’organise déjà mieux. …. Les produits agricoles se vendent bien  malgré la mévente sur Paris dont une partie de la population est évacuée. Nous en savons quelque chose par ici, Grandcamp est bondé de Parisiens du 4ème et d’habitants de Vincennes, ….. je conçois bien pourtant que cela peut être dur pour tous ces pauvres gens de quitter tout ce qu’ils ont……

….Dès le départ de tous mes chéris, je prendrai mes quartiers d’hiver,……, mais je ne mettrai le reste de la maison qu’en demi veilleuse, car il se pourrait que d’un jour à l’autre je sois envahie par des réfugiés ou de la troupe.. ….. nos amis les anglais ne sont pas installés loin d’ici et leurs superbes convois continuent à défiler sur nos routes normandes vers l’Est. Tout cela est rassurant mais serre le cœur… c’est le fait d’un fou et de sa bande de ?? et du peuple dont ils sortent, car mon opinion a encore moins de raison de changer que jamais, ce sont tous des bandits.

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Vierville dimanche 15 octobre 1939   (EXTRAITS)

Mes enfants chéris, je viens d’entendre le communiqué officiel de cette nuit que nous transmet la TSF, il est conçu à peu près dans les mêmes termes : activités de patrouilles ennemies repoussées, duels d’artillerie de part et d’autres. Et voilà tout ce que nous savons…

… De Lapis dans sa dernière lettre aux boys prétend que dans son secteur (il doit être dans les Ardennes) il entend de temps à autre un coup de canon et que c’est cela que les communiqués appellent un duel intense d’artillerie. Il faut faire la part de son esprit sarcastique et entrain qui doit être bien précieux à ses camarades, mais il faut bien dire que tout paraît calme  «  Qu’est-ce qu’on attend ? »  dirait ton cher papa. Sans doute a-t-on des raisons péremptoires pour être ainsi l’arme au pied.   ……un mobilisé venu pour aider aux récoltes et aux battages prétend que son frère artilleur lui aurait dit que plus de 10 rangées de canons les uns derrière les autres attendent les Boches. ….

… rien de nouveau ici, l’automne s’avance doucement…. On ramasse les dernières poires. J’ai pu faire des heureux avec tous ces fruits, sans compter tous ceux qui ont régalés vos neveux.

 .......Il a fallu ajouter une classe, qui se fait à la Mairie,  pour les petits des familles réfugiées dans les villas. J’ai vu quelques réfugiés dont l’allocation se fait attendre. Nous n’y pouvons rien. Je ne suppose pas que les caisses de l’Etat regorgent de réserves, et cependant que de dépenses de tous côtés. J’aide tant que je peux, en réservant cependant la plus grande part pour notre petit village. J’ai vu Dubois hier et dois voir Mlle Huet ces jours-ci ; tous remplissent leurs devoirs de maire et de secrétaire avec une bonne humeur admirable. On n’imagine pas le flot de paperasses dont ils sont surchargés, et le brave Dubois est toujours prêt à donner la main au battage des grains, aux labours qui devraient être faits dans les fermes dont les hommes sont partis. Braves gens que ceux-là qui font leur guerre eux aussi. Je crois …. le budget de notre cantine bien bas….

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 Vierville samedi 21 octobre 1939 et Dimanche 22 octobre 1939  (EXTRAITS)

… Piprel remplit sa tâche admirablement, il manque à ces petits  leurs papas et leurs mamans !… une grosse camionnette a apporté de Paris, pour eux, des vêtements chauds. J’ai vu les institutrices et aussi not’ maire, le budget de la commune ne permettra pas d’ouvrir la cantine scolaire cet hiver. Beaucoup de ceux qui en étaient les clients ont des parents qui ne sont pas partis. On les aidera avec des bons de pains et de viande ;

.....Les allocations sont versées avec beaucoup plus de parcimonie qu’en 1914 ; non sans raison, il y a eu de tels abus ! Les enfants touchent toujours, mais les mères dont beaucoup sont cultivatrices ne touchent rien. En général les pères de 4, 5 ou 6 enfants restent à l’arrière.

….Jusqu’ici aucun de nos petits soldats de la contrée n’est signalé blessé ou mort, à part 2 garçons d’Asnières, qui servaient d’agents de liaison sur motocyclette, se sont écrasé contre un arbre.

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Vierville samedi 28 octobre 1939  et Dimanche matin 29/10, (EXTRAITS)

.......Il ne reste plus qu’à attendre les permissions que Daladier promet à tous d’ici peu. Il faut éviter ce qu’en 1914 on a fait en retenant sous les armes les soldats qui sont restés plus d’un an sans revenir chez eux. La situation était du reste bien différente…. maintenant le mur de la ligne Maginot soutenu par nos chars et nos canons oppose …… une barrière infranchissable.

.......Les communiqués ne donnent que peu de détails, car l’activité est réduite à peu de choses. Il doit cependant y avoir des victimes, mais jusqu’à présent notre petit coin est indemne. Les classes 1909 et 1910 (des hommes âgés de 49 et 50 ans) viennent d’être démobilisées….

…. Vraiment on se demande ce que pense et nous réserve ce fou d’Hitler. On s’attendait paraît-il cette semaine à une forte attaque entre Sambre et Moselle, puis au passage de  centaines de chars Boches par la Hollande. ..

......La foudre est tombée  hier soir avec un bruit effroyable sur  le paratonnerre de la tour de l’évêque ……..ne causant aucun dégât, même pas celui, toujours à craindre, de souder le paratonnerre. Mais est-cela ? mon poste de TSF est muet depuis lors, et je le regrette bien car les nouvelles données 3 fois par jour et la très bonne musique m’aidaient à passer les heures en tricotant. Je n’avais pas eu le temps de fermer le compteur, car cela a été soudain, surprenant toute la maison….

 29/10     Depuis hier soir, j’ai trouvé un médecin pour mon poste, et je n’en suis pas fâchée. En l’espèce c’est le fils de Gambier qui a été envoyé avec d’autres soldats comme garde-côtes. Il est donc venu fort aimablement et a trouvé qu’un plomb avait été fondu, peu de choses donc, il rentrait de garde et avait trouvé sur la plage le corps d’un noyé. D’où vient-il ce pauvre corps ? Quelque victime des Boches peut-être, dont on un gros submersible  s’est échoué près de Douvres ; une épave où l’on a trouvé 60 cadavres. Que tout cela est triste ! La mer rejette dans sa fureur, car la tempête continue, des tas d’épaves qui viennent on ne sait d’où.

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Vierville samedi 4 novembre 1939   (EXTRAITS)

.....Georges Victoire est en Bretagne pour X temps, une partie de son régiment est venu instruire des jeunes et des Polonais dont des régiments, ainsi que des Tchécoslovaques se forment tous les jours.

......Beau temps cependant depuis 2 jours, ce qui a permis …..d’aller gauler les pommiers aux Vignets, ce sont les 7 vaches maigres, et l’on ne fera pas cette année de gros cidre à foison. J’avais heureusement pensé à cela, et il nous faudra seulement un tonneau de 1400 l de cidre, la récolte y suffira.

........Je fais poser un petit poêle à bois dans la chambre de K, la chambre voisine de débarras a une cheminée – c’est donc facile – et je suis aussi en train d’acheter une petite salamandre que je ferai poser dans la petite salle à manger. J’ai pu voir par ces temps ci de vent du Nord, qu’il était bien difficile d’y avoir chaud, et je dispose de 7 tonnes d’anthracite qui attendent depuis 1914 notre bon vouloir. Heureusement le bûcher a une bonne provision de bois, et j’ai fait mon plein de charbon pour la cuisine, et le Bon Dieu a soufflé un peu fort sur un de nos vieux  pommiers du Vignet, qui donnera encore chaud, car il faut penser à nos pauvres vieux qui se réchauffent mal devant leurs âtres à demi éteintes.

.......Je vois de temps à autre Dubois toujours prêt à rendre service, il m’a apporté un lapin de garenne, braconné il faut l’avouer, la chasse n’est pas ouverte cette année  -  et Mlle Huet à qui je vais fournir laine, crochet et aiguilles pour les grandes filles de sa classe  qui travaillent pour ceux qui en ont besoin.

… ici beaucoup de petits des villas vont à l’école communale…. Mais cela ne va guère et pour cause ! il y a cependant une 3ème institutrice et l’on fait la classe dans la mairie. …

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Vierville samedi 11 novembre 1939   (EXTRAITS)

......les jours raccourcissent fortement et voici que par mesure de précaution les autos doivent être munies de lampes noires. Déjà les lampes bleues donnaient peu de lumière, celles-ci en donneront si peu qu’on risque malgré toute l’attention voulue d’écraser quelque passant, surtout en arrivant en ville.

En France, on vient de mettre en permission de plusieurs semaines beaucoup de réservistes dont la tâche était plus utile à relever et conduire notre ….économie…. que de creuser très à l’arrière du front des tranchées que personne ne croit utiles.

Les pommes ramassées et apportées aimablement dans le baneau de notre voisin Auvray, ont donné un déficit que je n’ai jamais connu, à peine 15  barretées (1/2hectos) pour faire notre tonneau de cidre, il va falloir que j’en rachète et j’ai d’ores et déjà fait mettre100 litres d’eau dans le tonneau en vidange. En y ajoutant sucre et produit gâté ce sera très buvable. Je pleure des larmes de sang sur mon tonneau de gros cidre  que E. n’a eu de cesse de me faire bouillir cet été, j’ai évidemment 100 litres de calvados  -  que personne ne touche excepté E.  -  au fond de ma cave, mais j’aurais pu en faire bouillir moitié moins et me servir du surplus pour notre cidre de l’année. C’est une bonne leçon pour l’avenir.

T’ai-je dit que je faisait planter 7 jeunes pommiers pour remplacer ceux si malencontreusement arrachés l’an dernier par une bourrasque, et qui étaient de bons vieux arbres en pleine production.

Notre petit village est toujours bien calme, ainsi que je vous l’ai dit la cantine scolaire a été supprimée, on donnera des secours individuels.
J’attend la visite de Mme Ygouf ces jours-ci. Je crois bien que l’arbre de Noël n’aura pas lieu non plus, il y a ici une cinquantaine de petits parisiens qui ne pourraient pas en être exclus et cela augmenterait terriblement les dépenses, mais je pense que je pourrai faire provision de gourmandises que l’on distribuera à l’école en fin d’année. …..

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18 nov 39 extraits
.......Notre petit village est toujours tranquille, et les travaux se font grâce au dévouement des femmes et des vieux. Leterrier dirige l'Ormel, dont son fils aîné allait en se mariant prendre la direction, il est fiancé, et l'exploitation de son gendre qui est au front. Rude tâche, je l'ai vu l'autre jour bien fatigué.
.......J'ai bien envie de faire mettre le téléphone, mais je crains bien que la Marine et nos amis les Anglais empêchent de téléphoner dans la Manche ; le département appartient à ceux-ci qui s'installent... pour 10 ans.

......La vie n’a pas encore beaucoup augmenté, et nous trouvons tout, y compris l’essence, qu’on distribue largement.

......Leterrier s’est arrangé pour me trouver 20 barretées de pommes qui ajoutées aux miennes feront un cidre buvable tout de même.
Je trouve ici toute l’aide possible pour remplacer notre brave Muscadet qui s’ébroue encore à Caen dans son régiment d’artillerie ; et c’est à qui  me prêtera cheval ou banneau. Il y a encore pas mal de fagots et de bois de pommier à ramener des Vignets, cela augmentera notre provision, mais j’ai pu en distribuer à de pauvres vieux qui sont plus à plaindre que moi !

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Vierville samedi 25 novembre 1939   (EXTRAITS)

… Ces 2 guerres en 25 ans et les préparatifs militaires qu’il nous fallu soutenir nous ont mis à sec. Je me demande comment on finira par payer tout cela. Nos campagnards s’en tirent, les produits se vendent en hausse, les bestiaux sont réquisitionnés à bon prix, mais il faut bien reconnaître que ce n’est pas sans mal de leur part, car leurs travaux ne peuvent attendre. Vous ai-je dit toute la complaisance que je trouve  près de nos braves gens, dès que j’ai besoin d’une charrette et d’un cheval. Léon Auvray est allé hier au Vignet avec Léon me chercher les 2 derniers pommiers arrachés l’an dernier et que Georges avait aidé à scier. Leterrier m’a envoyé hier les pommes dont nous avions besoin pour notre cidre, elles viennent de chez sa fille à qui il aide à mener l’exploitation, dont elle se tire avec succès. Je suis touché de leur complaisance aimable. J’aurais pu avoir un autre cheval ; pour remplacer tous ceux qui ont été réquisitionnés, on châtre de beau pur sang, des cobs surtout, pour l’agriculture. Mais c’est une dépense dont je veux me passer cette année et cela me procurera la ressource de vendre mon foin….

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10 décembre 39* extraits

........H.A. emmène tout le monde – en deux autos – déjeuner et entendre la messe au Mont St-Michel. Quelle belle idée d’aller implorer en ce jour le saint patron du cadet. Avec cela il fait un temps superbe après une horrible semaine de vent et de pluie. Ils doivent partir de bonne heure et revenir de même (il n’y a que 85km de Coutances) car on est toujours très sévère pour l’allumage des phares d’auto dans tous nos départements côtiers….. où nos amis (anglais) sont installés comme chez eux. Ils ont non loin un champ d’aviation, ce qui leur vaut de temps en temps une alerte d’avions boches, dont la grosse cloche de l’église les prévient à temps, mais cela se borne à des alertes et jusqu’à présent ces cochons de Boches n’ont pas commis d’assassinats sur la population.
.........Nous sommes tenus ici-même à la prudence et 4 soldats veillent nuit et jour sur la côte, qui ont élu domicile chez Pignolet. Je ne sais pas si je vous ai dit qu'un couple de Boches dont les fenêtres de la villa resplendissaient de lumière chaque soir, à Saint-Laurent, ont été arrêtés et déportés dans un camp de concentration. Il a donc fallu mettre du papier bleu aux lampes difficiles à cacher, j'ai mis des grands rideaux à la cuisine et à la petite salle à manger.
..........Nous avons toute la semaine été abreuvés du glas que notre curé sonne 3 fois par jour et 4 jours pour le moins à chaque décès. Le père Leberruyer est mort, c'est une délivrance pour lui et les siens, ......; morte aussi la 2ème fille des Saillard, 19 ans ½, d'une fièvre typhoïde, elle était bonne à Bayeux, la mère attend son 12ème dans 2 mois, complètement épuisée, du reste. C’est la sœur de Léon....

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Vierville 19 et 20 décembre 1939      (EXTRAITS)
.........On a pilé notre cidre cette semaine, cela s’est passé le mieux du monde, et un tonneau de 1400 litres attend d’être mis en perce à Pâques pour terminer l’année 1940…
.........L’arbre de Noël aura lieu cette année à la mairie et je pense que le chocolat et les brioches que j’offre aux 75 petits qui fréquentent l’école réjouira et réchauffera toute cette jeunesse.

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Vierville mardi 26 décembre 1939     (EXTRAITS) 

…. Je viens de recevoir une lettre de Q. ce matin postée du 21/12 à Coutances, c’est vous dire si la poste est irrégulière.

......Rien de nouveau dans notre village, il y a eu des permissionnaires et un arbre de Noël pour 75 enfants que j’ai ensuite régalés avec un copieux goûter. Il y a même eu un Père Noël, en l’espèce l’un de nos gardes maritimes – instituteur de son métier qui a su dire quelques paroles de bon conseil, les grands en ont ri et les petits …ont d’abord eu un peu peur puis…. se sont aperçus que les souliers du P. Noël ressemblaient étrangement à ceux des soldats qui déambulaient sur nos côtes.

......Les femmes tricotent à longueur de jour pour les soldats, je renonce à vous dire les kilos de laine qu’ont employés vos sœurs ! Elles ont fait bien des heureux en chaussettes, chandails, cache-nez, passe-montagne chez de pauvres bougres de soldats sans parents ou très pauvres. Les lettres de remerciements qu’elles en reçoivent sont tellement touchantes.

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Vierville mercredi 3 janvier 1940     (EXTRAITS)

......Votre aînée tient le coup avec sa bonne santé…. Leur vieille maman .. ..va cependant mieux reprenant quelques forces (c’est long à mon âge !), chaque jours gentiment mes chères filles m’ont emmenée faire un tour en auto, cela m’a changé d’horizon ; nous avons été revoir quelques vieux manoirs et même nous en avons découverts quelques autres dans des chemins défoncés, changés en fermes et fort mal entretenus ! Mais quelques jolis détails, un portillon, des lucarnes, tout laisse voir la prospérité d’autrefois. Et cela repose de toute cette agitation….

…. Mais il faut nous attendre à des augmentations d’impôts, prélèvements sur les rentes, etc..  J. et B. sont venus m’apporter fidèlement leurs fermages, j’attends Pohier ( ?), mais j’ai toujours du tiraillement avec Z.  qui ne m’a pas encore payé le fermage du mois de juin. Je vais le faire demander de venir me voir.

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9 janvier 40 extraits

…….De plus j’attends vos sœurs cet après midi, elles veulent être demain au service qui se fera pour le Dr Parmentier enlevé en 4 jours par une anémie infectieuse. Il était parfaitement bien le 31 décembre puisqu’il a parlé gentiment à vos sœurs en sortant de la messe, il a dû attraper froid, s’était pas mal fatigué, or il avait 80 ans !  J’imagine le désarroi….… J’ai immédiatement écrit à E.

…. Nous avons eu froid et cela a déchaîné une catastrophe dans le grenier, où le tuyau d’eau a crevé, inondant la chambre de l’Evêque et le petit salon en dessous.
.......On m'installe le téléphone en ce moment, appareil portatif dans mon petit salon, double sonnerie (une dans la cuisine) cela sera pratique, quoique depuis la guerre, il est interdit de téléphoner de dépt. à dépt. J'espère obtenir pour raisons de santé de pouvoir téléphoner avec vos soeurs (à l'époque on passait toujours par un opératrice dans nos campagnes ; l'automatique existait à Paris et dans les grandes villes, et naturellement pas pour l'inter-urbain ).Les Anglais qui sont maîtres du département sont féroces là-dessus, en tous cas cela permettra plus facilement pour les courses à Trévières, à Bayeux, etc ; car une fois les soeurs parties je suis absolument à pied. Ce n’est pas cependant que tous nos braves gens du village ne soient prêts à me rendre service mais tu me connais assez, mon H., pour savoir que je suis d’avis de ne pas abuser, presque pas même d’user......

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Vierville 16 janvier 1940  mardi   (EXTRAITS)

......Mes fermiers m’ont tous payée, les produits agricoles se vendent du reste fort bien, à une vente d‘animaux la moindre vache valait de 4 à 5000F, un cheval sans qu’il soit un pur-sang 10 à 11000F, une jument boiteuse et âgée de 28 ans a fait 6000F. J’ai eu des nouvelles par Pohier du voyage qu’on a fait faire à nos pauvres bourins quand ils ont été réquisitionnés, il les conduisait. Ils ont eu 1 botte de foin chacun pour un voyage de 2 jours sans être abreuvés, je ne m’étonne pas que beaucoup d’entre eux soient hors de service. Quelle gabegie, quelle incurie !

......Mercredi 17 janvier
J’ai bien peur que cette lettre ne parte pas ce soir pour Paris,… nous nous sommes réveillés ce matin dans un paysage de neige, on n’aperçoit plus le dessus des pelouses, c’est te dire s’il y en a.

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Vierville mardi 23 janvier 1940  (EXTRAITS)

 … nous sommes à peu près bloqués par la neige depuis que je vous ai écrit la semaine passée. Le courrier arrive quand il peut et part de même, les cars sont arrêtés depuis 2 jours, on dit que la neige a près d’un m. de haut sur la route vers Bayeux, et cela ne m’étonne guère à en juger parce que nous avons par ici. Nous avons été privés d’électricité et presque acculés à la famine si nos réserves personnelles ne nous avaient permis d’alimenter notre table…. Le paysage était sinistre du côté de la mer violemment secouée par un fort vent de NE…. Pas moyen d’arracher une salade ou un poireau, et nos boutures, malgré le feu entretenu nuit et jour, ont bien failli passer un mauvais ¼ d’heure dans la serre dont on ne pouvait plus ouvrir la porte scellée par le gel….nous avons eu –9°.

.....Dans les pièces occupées, nous avons pu maintenir une température suffisante grâce aux tonnes de bois que l’on enfourne et à la salamandre qui mange mon anthracite. J’ai fait poser un poêle à bois dans la chambre de R.……

…..en pensant à nos petits soldats qui montent la garde avec –25 et –28° de froid. C’est ce que nous accuse H.A.. qui heureusement supporte cela sans malaise. Cela ressemble tout à fait à l’hiver 1917 qui ressemblait à celui de 1870…..

… J’espère que l’an prochain on pourra en faire autant (rentrer à Paris, comme beaucoup de parisiens font en ce moment). Le coup dur est dit-on pour le printemps prochain, mais comme disait le spirituel Dorin l’autre jour  à la TSF «  il y a les bons et les mauvais tuyaux… mais tous sont faux »

…….. je vois ici tous les parisiens restés pour l’hiver chaudement vêtus de lainages, presque toutes les femmes avec le pantalon de pyjama ou de skis serrés à la cheville sur d’énormes souliers aux fortes semelles, sur la tête un petit capuchon de laine ou de toile cirée selon le temps. J’en ai fabriqués plusieurs de ceux-ci à de vieilles bonnes femmes de notre village qui sont ravies d’avoir chaud à la tête.

…….Je fabrique en série des petits capuchons qui ressemblent terriblement à ce que nos bonnes femmes portaient il y a 50 ans, c’était passé de mode, même à la campagne, mais nos vieilles sont ravies de « mucher » leurs oreilles derrière mon tricot. 

….Je n’ai revu personne de chez les Parmentier qui doivent être encore plus bloqués que moi à la mer.

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30 janvier 40 extraits
… Enfin il y a 2 jours la belle( !) neige (a fui)  qui nous bloquait comme dans un trou….. Je me félicite vraiment d’avoir une salamandre dans la petite salle à manger, sans elle nous n’étalions pas. Nous regardons donc tomber la pluie avec satisfaction, vos sœurs malgré leurs 4 poêles et le fourneau n’arrivaient pas à sentir un peu de tiédeur, et la pauvre Suzon avait les doigts gonflés d’engelures.

….Par ici notre vie reprend sa marche régulière ; le courrier, le boucher, le poisson, les fournisseurs et les cars fonctionnent…… c’était un problème que de faire un menu ; nos légumes sous 30cm de neige ne paraissent pas avoir trop souffert, mais les lièvres affamés se jettent sur nos salades.

 ... J'avais envoyé un mot à Mme Godard que je savais toujours dans son ermitage - que tu sais - au milieu des bois. Elle me répond qu'ils ont dû pendant plusieurs jours se nourrir de pâtes, de pommes de terre et d'oignons dont elle avait heureusement quelques réserves ; tout va bien chez elle, y compris un de ses gendres qui n'a pas quitté le front depuis septembre.

31 janvier

……Hier à la TSF je suis tombée, par hasard, sur un poste allemand qui diffusait un discours que j'ai su ensuite être celui d'Hitler : un vrai dément vociférant sa parole hachée qui contenait, paraît-il, nous dit-on ce matin toutes les injures coutumières ; cela s'est terminé par des Heil ! si scandés qu'ils ne pouvaient être que guidés par un maître de cérémonies. Il continuait à l'infini sans se taire et j'ai tourné le bouton pour ne plus entendre ces cris qui me brisaient le coeur. Quand on pense à l'effort, au sacrifice de tous les français pour vaincre ce diable déchaîné on se demande si Dieu n'aura pas pitié de nous en nous en débarrassant avec la clique qui l'entoure.

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Vierville   mardi 6 février 1940     (EXTRAITS)

… cela m’amène à parler de notre pauvre Muscadet, dont  j’ai eu indirectement des nouvelles : une partie des beaux et forts chevaux normands partis dès la 1ère heure sont paraît-il, hors d’usage, tant les soins et la nourriture leur ont manqué, ……… nos campagnes où les exploitations agricoles ont à peine de quoi se suffire pour les travaux actuels.

… j’ai.. terminé un gros chandail qui va partir au front pour un de nos petits soldats de Vierville qui me l’a demandé. J’y joindrai quelques gourmandises et un petit viatique car c’est un père de famille de 2 enfants ; la mère trait pour s’aider à vivre, et l’allocation accordée par l’Etat ne permet que l’indispensable.

… plusieurs ajournés des vieilles classes ont passé une nouvelle révision. D’aucuns, dont le fils Ygouf ont été repris.

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20 février 40 extraits

.......On révise les anciennes classes et quelques unes sont rappelées en activité pour permettre à d'autres de rejoindre leur place en arrière. Nos braves fermières ont bien besoin de l'aide de leurs maris pour finir les labours et préparer les récoltes. J'ai vu Dubois qui m'a appris que Jacques de Mons était rappelé,....
...... Rien de nouveau dans notre petit village, la cantine scolaire ne sera décidément pas réorganisée, on distribue du pain aux familles nombreuses et aux vieux mais les 1ères sont très largement aidées maintenant par les allocations que l'Etat distribue - non sans raison - et au surplus les pères de famille sont maintenant à leur foyer. ......
.......Nous avons toujours de grandes facilités de ravitaillement, le pain (s'il est moins bon) n'est pas rationné, ni le sucre, ni le café, nous sommes 3 jours sans viande, mais il reste les volailles et le poisson. Le principal c'est de ménager à nos soldats une gamelle copieuse.

Avec Q., nous avons été faire quelques promenades ; j’en ai toujours grand plaisir ; nous sommes allés jusqu’à Campigny où il y a 2 vieux châteaux ; mais nous y retourneront pour visiter l’église où se trouvent 4 gisants, et aussi une belle cheminée Renaissance dans une ferme. C’est enterré dans la campagne, tout cela à 15 km de La Mine et l’on se demande pourquoi tout ce luxe et à qui il servait ! Les chemins qui y mènent ne sont pas  bons ! qu’est ce que cela devait être sous Louis XII ou François 1er ?

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Vierville   mardi 27 février 1940     (EXTRAITS)

…..Rien de nouveau dans notre village, les vieux dégringolent les uns après les autres, c’est de leur âge, on enterre demain le père Brisset, ancien facteur et le vieux père Célestin est au plus mal….

......Dagoubert a travaillé toute la semaine à réparer les dégâts causés par la gelée, un vrai désastre, surtout dans ma salle de bains, il a fallu enlever la baignoire, soulever 3 tuyaux venant de ….., l’un était crevé au passage du plafond !

Mercredi 28/2 1940   …. Je viens de voir Dagoubert pour la fuite du réservoir ; après avoir exposé que la réparation en était très difficile – moi de lui répondre que rien n’était impossible et qu’il fallait le faire, il se trouve que ce n’est pas le réservoir, mais un tuyau de plomb qui passe par derrière qui est crevé. Cela se fera donc sans trop de mal. Cela m’a permis de constater que le plafond de la salle du moteur s’affaisse terriblement… idem dans l’endroit où l’on met les carrioles. Le poids des plafonds de terre en est cause ; mais quelle réparation !… je suis  bien vieille pour entamer tout cela et au surplus il n’y a pas un ouvrier par ici en ce moment qui puisse la faire.

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Vierville   mardi 5 mars 1940     (EXTRAITS)

Vous avez dû voir que notre gouvernement organise la carte de rationnement, qui sera de viande, de pain et de sucre ; déjà les boucheries sont fermées pendant 3 jours de suite, les charcuteries 2 jours, les pâtisseries 3 jours et la vente de l’alcool idem (voilà une bonne mesure pour le Calvados !) . Pour nos appétits réduits, pour K. et moi, je ne suis pas inquiète, mais je me demande comment vont faire les sœurs devant les appétits des jeunes qui ne rassasient pas ! Il va falloir doubler les plats de nouilles, de riz et de pommes de terre… Tant pis si c’est pour la France et pour la victoire.

… Not’ maire est malade…...

….. J’abolirais, si je le pouvais, le privilège des bouilleurs de cru qui procure à tous ces gens une provision d’alcool à bon compte.  J’ai eu la visite de nos institutrices ;  …. Je leur fournis la provision de laine dont elles ont besoin pour apprendre à crocheter et à tricoter à leurs filles. Le résultat n’est pas si mauvais que cela, et j’ai promis en fin d’année de donner une récompense à la plus adroite : sac à ouvrage  ou autre. Ces deux braves filles se donnent bien du mal pour leurs élèves. ……

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12 mars 40 extraits
....... l'enterrement de notre vieux curé. En effet celui-ci que je vous annonçais comme bien fatigué dans ma dernière lettre est mort jeudi, ayant voulu jusqu’au bout remplir ses devoirs de prêtre ; il avait dit mercredi la messe mensuelle pour notre cher père et tous ceux que nous pleurons, il a voulu le jeudi en faire autant et s’est traîné à l’autel, terminant sa messe avec beaucoup de peine, et il est rentré ensuite au presbytère sans pouvoir faire le catéchisme aux enfants, s’est couché et s’est éteint dans la nuit après de pénibles souffrances (je ne sais de quoi il est mort). Il avait préparé en bon chrétien tout son départ, recommandant encore à Christine Dagoubert qui aidait la pauvre vieille Louise, effondrée, de le faire ensevelir dans la chasuble de satin mauve que votre cher père lui avait choisie pour le mariage de vos aînés..... Je n’ai pu à mon grand regret aller bénir sa dépouille ni assister à l’enterrement où tout le pays s’était donné rendez-vous . Il y avait, parait-il, 22 prêtres, les anciens combattants et leur drapeau ainsi que les pompiers, et tous les bancs se trouvaient remplis d’assistants.

........Il y avait 40 ans qu'il était curé de la paroisse. Je ne sais pas trop qui nous allons avoir, les prêtres sont rares, les jeunes partis aux armées, il y a des chances pour que nous soyons desservis tant bien que mal par le curé de St-Laurent qui a déjà 3 paroisses à son compte, avec Vierville et Louvières je me demande quand nous aurons une messe !! ..... Le maire sort d’ici, il devait aller parler au doyen de Trévières (ancien missionnaire …..) et tâcher d’arranger les choses. Ce n’est pas l’argent qui manquera, j’en suis sûre, je serais navrée que notre village soit sans prêtre, et je pense avec émotion à Celui qui vient de partir, il nous aimait bien tous, et c’est encore un peu de tout mon vieux passé qui s’en va ! L’hiver a été cruel à tous les vieux.

........Les grands garçons voient arriver Pâques avec le sourire, ils devront aller à Rouen passer l’examen de préparation militaire supérieure qu’ils ont préparé obligatoirement comme élèves aux grandes écoles. D’ici à Rouen, c’est 150km et l’essence est de plus en plus rare, en prenant le train il faut coucher 2 jours en route. Les trains sont raréfiés également. Il est incompréhensible qu’on ne fasse pas plus près d’ici passer les dits examens puisque l’on recommande d’économiser l’essence et de ne prendre le chemin de fer qu’absolument obligés. C’est incroyable ce que dans notre cher pays il peut y avoir de non sens … et de gaspillage.

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Vierville   18 mars 1940   mardi matin    (EXTRAITS)

… nous avons été privés de messe ici, hier matin, nous avons eu la ressource de St-Laurent, nous aurons un service le jour de Pâques, le brave curé de St-Laurent se multiplie entre les 5 paroisses qu’il a à desservir. Nous sommes même privés de l’Angélus, le conseil municipal s’active beaucoup à combler tous ces vides ; c’est si triste une paroisse sans prêtre et sans cloches !

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Vierville   mardi  25 mars 1940     (EXTRAITS)

..........Nous n’avons pas trop mauvais temps, il fait doux avec quelques averses ; grande marée qui a permis à nos garçons d’aller nous cueillir des moules au bout de la Percée avec leurs canoës.(Observations de D. : Le rocher devant la Percée, qui n'émergeait que par grandes marées était la "roche marcelle"; c'est de là que nous avons rapporté des  moules lors de notre première sortie avec les deux canoës le jour de la déclaration de guerre, et après; comme personne ne pouvait y aller à pied, les moules étaient très grosses et très propres)  Ils sont revenus avec un plein sac de belles grosses moules, et un plus petit de gogins.

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Mercredi  26 mars extraits

........Nos boys partis ce matin dès 6 heures pour prendre le seul train qui peut les emmener à Rouen où ils seront pour le déjeuner, nous les reverrons vendredi matin car ils n’arriveront que dans la nuit à Bayeux. Voilà un examen qui aurait gagné à être simplifié, et je m’étonne que le service militaire n’ait pu faire quelque chose d’analogue aussi à Caen ? Ce ne sont pas les officiers et la troupe qui manquent, il y en a partout. Il faudra recommencer cela en juillet et l’on ne saura pas le résultat.

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mardi 2 avril 40 extraits
… On renvoie pour 15 jours, 1 mois, des cultivateurs, car nos femmes ne peuvent
pas tenir le coup avec des gamins de 14 à 18 ans comme aides, et le travail de la terre se fait comme il se doit.

… Nos boys ont été jeudi à Rouen pour passer la première partie de leur PMS – la 2ème partie se passera en août -  cela  est obligatoire pour les élèves qui préparent les grandes écoles. Nos gars ont trouvé parmi leurs examinateurs le Lt François de Bughas.

....Entre des journées de beau temps nous avons eu un véritable raz de marée arrivé subitement et reparti de même le jour de l'équinoxe. Le boulevard de la mer était innabordable, tous les jardins inondés, celui des Guignard entre autres où il y a encore 60cm d'eau dans le bas. Tout est à refaire dans ce cas là dans un jardin. La terre elle-même est inutilisable. Il paraît que le spectacle vu de la falaise était splendide, mais quand la mer s'est assagie, on a trouvé la route envahie de galets et de grosses excavations aux protections qui suivent jusqu'à St-Laurent. La digue n'a guère souffert. Gros travail à refaire. ...... il a fallu cependant fermer les persiennes du côté de la mer pour nous abriter du vent qui s'infiltrait partout. Le beau temps qui a suivi a permis.......de travailler ferme au jardin, il prend très belle allure et nous aurons cette année une belle récolte de pommes de terre et légumes. Il le faut, nous ne voyons pas ce que nous réservent les mois qui vont suivre, on établit demain la carte de ravitaillement pour toute la France . Cela n'a guère d'importance pour les vieux et les petits qui en auront toujours assez, mais je me demande comment on étalera devant des appétits comme ceux de nos boys.

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Vierville, mardi 9 avril 1940   (EXTRAITS)

….  Les nouvelles navales du côté de la Suède et de la Norvège sont brûlantes ; ces neutres ont été au dessous de tout, ils protestent maintenant que nous refusions de laisser les bateaux boches chargés de minerai suivre leurs eaux territoriales sous la protection même des torpilleurs norvégiens. Une nouvelle sensa de New-York arrivée ce matin prétend que les Boches ont envahi le Danemark pour pouvoir mieux se défendre et l’escadre complète de Wilhemshafen aurait appareillé vers le Nord Ouest. On s’attendrait à un combat naval. On a le cœur serré en pensant à tout ce qui peut s’en suivre ; mais il faudra bien malheureusement en arriver à se cogner ferme.

Mercredi . Depuis hier les nouvelles se précipitent et la guerre s’allume en Scandinavie… on dit qu’une grande bataille navale  entre les flottes franco-britanniques et allemandes se déroule sur les côtes norvégiennes, les nouvelles les plus diverses nous sont parvenues, même par TSF. ….. Je suis, comme vous l’êtes sûrement mes enfants chéris, horriblement angoissée de l’avenir. Que Dieu nous garde tous.

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Vierville, mardi 16 avril 1940   (EXTRAITS)

Le curé de St-Laurent dit une messe ici chaque dimanche, souvent même les vêpres, et s’occupe des petits communiants. Il a réinstallé un chantre, les enfants de chœur sont mieux tenus, et moins bavards ; l’église plus propre.

......C’est maintenant le brave Coliboeuf (le mari de Jeanne, notre cuisinière) qui sonne les angélus avec beaucoup de régularité et de force, car le voici maintenant notre garde-champêtre 

…. J’ai l’impression ( !) que peu ou point de nos soldats sont partis pour soutenir les anglais et les norvégiens, mais nous tenons ferme la ligne Maginot de Belfort à Calais, prêts à rentrer en Belgique si besoin est. Je me demande un peu ce que pensent les Boches et où ils veulent en venir.

.....Je me suis bien amusée l’autre jour à voir toute la colonne des petits parisiens de chez Piprel venus sur ma demande se promener dans le bois, j’ai fait une distribution de sucettes, naturellement, les institutrices leur avaient dit qu’elles les emmenaient au bois de Vincennes.  « Mais c’est bien plus joli que le bois de Vincennes » disait l’un d’eux, et l’on est reparti les petites mains pleines de fleurs le sourire aux lèvres. … Ils sont ici encore pour X temps.

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Vierville, mardi 23 avril 1940   (EXTRAITS)

…..J’ai aussi reçu la visite des institutrices qui vous envoient leurs respectueux souvenirs. On prépare activement à la mairie les cartes de rationnement dont nous serons gratifiés en juin.

.........avec toutes les dépenses que je vais avoir à faire pour Vierville. J’arriverai à joindre les 2 bouts sans plus et encore ! Reste à savoir ce que le Gouvrnt nous réserve comme impôts ; il va falloir s’attendre à une grosse note !… mais Vive la France ! On voit s’éterniser la guerre et pour ma part je ne conserve guère l’espoir d’en voir la fin cette année. La TSF est très discrète, trop à mon sens, car nous ne savons rien de ce qui se passe. (la guerre de Norvège était encore indécise avant de  tourner mal pour les Alliés) Dure attente pour tous.

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Vierville, mercredi 30 avril 1940   (EXTRAITS)

…Les opérations ne semblent pas s’exagérer à l’Est ; les permissions de nos soldats avaient été supprimées, elles sont rétablies, je pense que nous verrons bientôt notre caporal et sans doute aussi Georges Victoire ; celui-ci à qui j’envoie des colis de temps à autres ou un mandat, m’écrit ma foi très gentiment et on le sent plein d’entrain, est-il en plein front en ce moment ?…

…. J’ai eu hier la visite de Mme Monceti, la femme d’un secrétaire de légation de Tchécoslov., réfugiée ici avec ses enfants, son mari est toujours à Paris à la Légation. Elle a eu pendant plusieurs mois chez elle une quinzaine d’enfants tchéques réfugiés et je les ai aidés un peu. Son mari…. m’a fait parvenir plusieurs très belles brochures coloriées de leur pays…..

......Rien de nouveau dans notre village où les travaux des champs sont courageusement faits par des femmes et des tout jeunes gens. Nos boys auront de quoi s’occuper pendant les vacances. Mon foin paraît superbe, même dans le champ de « Pompon » qui n’est plus piétiné par le cheval. Je vendrai la récolte une fois bottelée

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Vierville - mardi  8 mai 1940 – extraits

......on sonne le glas du pauvre Piprel qui s’est tué en auto vendredi dernier….

......Jeanne est venue m’avertir que  Piprel revenant de Formigny où il avait été conduire son fils à l’autobus venait de se tuer en se rencontrant avec un camion venant de Port, au carrefour de la Poste. Il a survécu de quelques minutes à cet affreux accident, le temps de chercher sa femme. Il a succombé à une crise cardiaque, car il n’était pas blessé dangereusement. Et voilà une famille dans la désolation, la brave mère Piprel est bien dans l’impossibilité de finir d’élever ses fils dont l’un du reste va partir incessamment aux armées, et l’autre est encore au lycée. Le Casino est encore mobilisé et donne asile à une trentaine de petits parisiens et à leurs institutrices.

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14 mai 40 extraits
........Avant de commencer à vous écrire j'ai tourné le bouton de ma TSF qui depuis quelques jours nous donne le bulletin des opérations, toutes les heures. C'est vous dire si nous sommes angoissés des nouvelles de l'Est et du Nord et combien nous pensons à ceux qui s'y battent.
....... Le petit Georges Victoire qui se trouvait avec les chars sur la frontière belge a dû lui aussi entrer en Belgique ; tous nos permissionnaires sont repartis laissant des femmes courageuses mais en larmes et depuis hier soir nous voyons arriver des petits réfugiés du Nord et même de Paris qu'on installe dans les maisons déjà réquisitionnées. Le Sous-Préfet a prévenu Dubois qu'on nous enverra sans doute une centaine d'autres réfugiés (familles) et s'informant où les mettre, ai-je besoin de vous dire que j'ai offert tout ce que j'ai de disponible dans la vieille maison.......De toutes façons il faudra s'arranger pour les malheureux qui vont encore se trouver chassés de chez eux.
.....J’ai cédé hier au maire qui se trouvait avec un seul bourricot pour aller à Bayeux notre vieille Pépita qui lui aidera bien à toutes les courses....... On n’imagine pas ce que peut réclamer l’administration d’une commune – fût-elle petite comme la nôtre – en ces temps actuels ; l’institutrice qui sert de secrétaire est sur les dents, et l’adjoint Piprel qui se prêtait lui et sa voiture à tout ce dont on avait besoin, ayant disparu (lui et sa voiture en miettes) ne peut être remplacé, les élections ne pouvant se faire en France par temps de guerre. Il s’agit donc de s’entraider et je me suis offerte pour servir de secrétaire à la secrétaire qui ploie sous une masse de cartes de rationnement qu’on lui expédie. Je regrette bien que mon activité soit enrayée et que je ne puisse aider d’une façon plus effective 

......L’envahissement des Pays-Bas et de la Belgique a été comme un coup de foudre ; certes on pouvait s’attendre à tout avec les chiens enragés de l’Est, mais on pouvait tout de même espérer qu’ils respecteraient leurs promesses, il n’en paraît rien et nous suivons d’heure en heure le progrès de ces hordes qui rappellent les Huns.

....... J'ai appris hier avec surprise que la reine-mère de Belgique est réfugiée non loin d'ici avec ses 3 petits enfants dans un petit château que tu connais bien entre Mosles et Bayeux ; les villas de St-Laurent se louent à des personnes de la Cour arrivant avec quelques malles.
..........Les autos recommencent à passer chargées de valises, on voit même des cars entiers venant de Paris ou de plus loin, et la guerre se poursuit hélas ! avec la même acuité.

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21 mai 40 extraits

........Depuis 2 jours surtout un défilé d’autos se poursuit sur nos routes, transportant des gens qui fuient. Hier soir j’ai donné asile à l’une d’elle dont le propriétaire était en panne sur la route de Grandcamp avec 2 autres voitures. Ils arrivaient du Nord, d’Avesnes, les pauvres gens et le récit succinct de ce Mr. donnait une idée bien affreuse de ce qui s’y passe.
Naturellement tout le village est plein partout, et j’ai mis la vieille maison à la disposition de ceux qui en auront besoin. Dubois (maire) met beaucoup de discrétion à en user. …..

.......La poste marche très mal, et les lettres du front n’arrivent pas. De tous côtés j’entends les plaintes des parents anxieux. La pauvre Jeanne et Léon sont sans nouvelles de Georges depuis bientôt 15 jours il en est de même pour tous, et c’est ce qui laisse un espoir aux malheureux parents inquiets.

......J’étais atterrée hier soir en regardant la carte de voir tout ce que ces brutes occupent déjà dans notre cher pays privé ainsi d’une partie de ses meilleures usines.

......Notre village est rempli de réfugiés, de gens du Nord surtout qui presque tous ont pu louer maisonnettes, villas vides ou meublées. Il est bien évident que ceux qui sont arrivés de cette manière avaient encore quelques moyens dans leurs poches, les plus à plaindre sont les ouvriers, les paysans évacués par trains qu'il a fallu souvent aller chercher très loin, le défilé de ces malheureux répétait ce que l'on voyait en 1914.

J'ai revu notre maire qui passe son temps à courir, il a acheté (d'ordre de la préfecture) de la literie, des ustensiles de ménage, vaisselle, tables et chaises qui sont distribuées. Je regrette bien que ma santé ne me permette pas d'être plus active et d'aller aider à l'installation de toutes ces familles. Il y a beaucoup d'enfants que nos braves institutrices ont accueillis et qu'elles mettent je ne sais où ! Le soir à 4h1/2 tout ce petit monde se rend à l'église accompagnés de la bonne mère Campserveux qui leur aide à dire un chapelet pour la France. Quand je pense que je ne peux même plus aller jusque là. Je vais mieux, mais la marche m’est très fatigante.

Depuis hier des avions nombreux sillonnent la mer, pourquoi ?
 

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4 juin 40 extraits

.......Le premier convoi Français est arrivé dimanche soir par Cherbourg, rapatriant nos soldats exténués. D’un train traversant Bayeux, un de ceux-ci a pu faire prévenir sa femme qui habite St-Laurent qu’il était sauf. (toute l’armée est dirigée sur Le Mans) c’est le 1er de notre petit coin, espérons qu’il y en aura d’autres. Les régiments du Nord étaient composés de beaucoup de bretons et de normands.
(Le texte qui suit semble se rapporter à ce qui est indiqué ci dessus)

{Le premier était dans un des wagons à bestiaux qui rapatriait nos soldats  de Cherbourg au Mans où se trouvait notre soldat de St-Laurent. Je sais depuis que le garde de Mr. Leterrier, passant dans ce train à la gare du Molay a sauté du train en marche et est arrivé chez lui en pleine nuit. Vous voyez d’ici la scène. Il repart aujourd’hui pour Le Mans, je ne pense pas qu’il sera puni.}

Les pauvres Leterrier sont sans nouvelles de leur fils depuis 24 jours, idem les Saillard pour leur aîné, un brave et fort gars, fiancé ! Laurent Thomas que tu as (vu ?)comme enfant à la gare et 4 autres que tu ne connais pas.

......Ici on prend des précautions pour une avance boche. Je dois loger 3 officiers supérieurs et 40 soldats. (Ils ne sont jamais venus)
......Les restrictions vont bon train : 750g de sucre par mois ; de la viande 4 j sur 7, 30 l d'essence par auto et par mois ; l'huile de plus en plus rare, 50kg de charbon par mois et par 3 personnes.... Je ne sais vraiment pas comment nous allons pouvoir nous en tirer cet été quand nous serons 12 personnes à faire manger et l'hiver me fait peur. Heureusement que le bois ne manque pas dans le bûcher ; on rétrécit encore son espace vital.

......Le 1er tiers de la classe 40 est appelé,

......On voit passer par la grande route des chariots remplis de meubles, de femmes, d'enf., de vieillards, qui sont refoulés par ici. Mais ce sont des gens du Nord. Tous les Belges ont été refoulés vers le Centre.

......Nous possédons en effet une garde civique composée de tous les hommes valides (Léon en est !) qui monte chaque nuit la garde dans nos petits chemins, on craint ce qui s'est passé en Belgique, une invasion silencieuse de cette fameuse 5ème armée toute prête à aider les Boches lorsqu'il le faudrait. Ce n'est plus une guerre, c'est un (????illisible) de bandits. Nos hommes ont l'ordre de tirer le cas échéant, ils ont tous un fusil et 5 cartouches. Nos deux boys se sont fait inscrire pour prendre la garde aussitôt qu'ils seront ici, ils aideront aussi dans les fermes.

.......C’était dimanche la communion ici, triste communion dont la plupart des papas, des gds frères étaient absents. Il y avait des larmes dans bien des yeux. Un jeune abbé échappé du Nord habite maintenant le presbytère et aide le curé de St-L. (St-Laurent) qui avait bien du mal à tenir ses 5 paroisses.

.......Nous entendions très bien la canonnade par vent de N.E. toute la journée de samedi (le 1er juin, des bombardements sur Le Havre ou Rouen ??) et nous avons été réveillés cette nuit par 3 fortes détonations qui ont fait trembler nos vitres, sans doute quelque avion boche laissant tomber ses bombes sur un de nos bateaux. Toutes les chaloupes de Grandcamp et de Port sont parties clandestinement une nuit pour Cherbourg où elles ont formé un convoi imposant qui est parti pour Dunkerque et Calais et ont participé au sauvetage de notre armée.

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24 juin 40 extraits

......Depuis, notre beau et cher pays est envahi par des troupes en vert de gris toutes motorisées, nous les avons vu apparaître ici dès mercredi (le 19 juin) . Je ne vous conterai pas tout ce qu'il advint, sachez que nous sommes en paix pour l'instant ici, mais l'horrible capitulation qui nous a remplis de stupeur et de chagrin a eu lieu ; signée par une de nos plus grandes et pures gloires militaires ! Est-ce possible ! Nous n'y pouvons pas croire ! La France abattue en q.q. jours, un armistice signé à Compiègne et notre manque à la parole donnée à nos alliés ! .. Ceci est une chose dont tous les coeurs français ne se consolent pas.. Nous sommes sans nouvelles, la poste ne fonctionne plus, les trains non plus, la TSF même, à part les Anglais, ne nous renseigne plus depuis que les Verts de Gris ont pris Rennes où se trouvait le principal poste général français. Je pense à vous mes chéris, à votre chagrin qui n'est pas pire que le nôtre ! croyez-le. Nous attendons encore les conditions qui seront sans aucun doute draconiennes pour signer la paix. Je m'imagine que d'aucuns par chez vous doivent redresser la tête, notre tour viendra, je ne peux pas croire que Dieu nous abandonne.

.......Au revoir, ......quand cette lettre vous arrivera-t-elle ?

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30 juin 40 extraits

.......Ma place était ici, grâce à cela et jusqu'à présent les verts-de-gris qui occupent tous nos villas n'ont rien tenté, .....; du reste jusqu'à présent tout se passe correctement ; j'ai bien dû fournir des p. de terre au petit détachement qui occupe le Casino ; et j'ai fermé les grilles à clefs pour éviter qu'on entre chez moi comme dans un moulin. J'ai bien des choses à vous raconter mes enfants chéris, ce sera pour un peu plus tard. Que Dieu nous aide ! nous en avons besoin. Je ne sais quand je verrai vos soeurs et les petits, on a siphonné l'essence de leurs autos, et de plus on fait ici raffle des jeunes entre 20 et 32 ans. On craint sans doute une aide pour nos braves alliés qui courageusement continuent la lutte. On dit que du côté de Colombières il y a eu de la casse ; j'ai vu passer des ambulances filant vers Gr. (Grandcamp ?)
......Dubois est très à la hauteur de sa tâche prenant avec énergie la défense de ses administrés.

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6 juillet 40 extraits

... Nous sommes sans aucune relation avec l'extérieur. Notre petite commune est largement occupée par un état-major nombreux, mais il y règne le plus grand ordre. Toutes les villas sont habitées, elles étaient toutes vides de leurs propriétaires ; on a forcé, sans plus, les portes de celles qui étaient sans gardiens, je n'ai pas entendu dire qu'on avait pillé les armoires, le moindre vol est puni de mort, dit-on. Je suis donc toujours en faction à la porte de notre vieille maison qui aurait subi le sort de celles qui sont vides, elles ont été remplies de soldats tout de suite, et il faut dire que c'est vite abîmé par toute cette soldatesque. G. de P. en a 45 chez elle, et son avenue bordée de gros camions qu'on veut sans doute dissimuler aux avions anglais. On n'en voit guère de ceux-ci, mais notre ciel est sillonné d'autres, qu'on peut sans peine évaluer à plus d'une centaine.

......Les cantons de Trévières et d’Isigny, comme proches du bord de mer ont été vidés de tous les jeunes de 20 à 32 ans. A l’aide de Pommier (le notaire de Trévières) qui remplace Brée (?) , trop vieux, à la mairie de Trévières et qui a du se bien faire voir à la  Com.(la Kommandatur ??), je voudrai obtenir ce que d’aucuns ont obtenu ici, de garder leurs fils à condition de les faire travailler et de venir chaque semaine signer à la Com. Leterrier a spontanément accepté mon offre de prendre nos 3 boys comme ouvriers agricoles. Cela ne souffre aucune difficulté pour D. et K.(ils ont 17 et 18 ans), reste à savoir si nous pourrons obtenir l’autorisation pour HN (il a 20 ans). Il faut pour les V. (les Vertsdegris) que tout le monde travaille, ce n’est pas moi qui leur en ferai reproche. Let.(Leterrier)  a vu revenir cette semaine son fils aîné, resté d’abord – prisonnier - dans les bois de Mortain avec tout un EM, après avoir fait sauter des ponts de la M. et du C. Au bout d’une semaine ils étaient toujours dans un vieux château perdu dans les bois. Le Gén. et ses officiers ont décidé de se rendre, et ont laissé  leurs hommes libres de tâcher de rejoindre leurs foyers. Louis L. a marché 12 j. pour arriver ici malade ayant peu ou point mangé, et son père travaille à le faire rester chez lui. Tout le monde est ici sans nouvelles de ses soldats, c’est ce qui nous donne espoir pour les nôtres, mais quels moments d’inquiétudes et d’angoisses pour tous les cœurs ! Quand te lirai-je mon H. ? Que Dieu nous aide !

.......(PS) L'essence a complètement disparu, on revient aux carrioles, mais les chevaux sont rares et pour cause ! Le ravitaillement se fait assez bien et les marchés ont été par ordre rétablis . Les transports se font en voitures à chevaux... pour nous, car j'en vois d'autres qui sillonnent nos routes en superbes autos. Je vais à peu près bien entendu, et vous ? Toutes les caisses publiques sont vides, et les fonctionnaires ne sont pas payés. Où va-t-on ? Quelle misère il va y avoir.

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15 juillet 40 extraits

......J'ai bien reçu ta lettre avion du 15 juin avant-hier, je me demande par où elle vient, car ici il m'est impossible de me servir de ce moyen rapide ! Ce serait pourtant bien réconfortant de se sentir plus proches ; les événements qui viennent de s'écouler nous ont tous rompus, je le voie dans ton petit bout de lettre et cependant vous n'avez pas eu le pire... Vous dire ce qu'a été pour moi, pour tous, cette horrible débâcle, notre France envahie aux ¾ et les vert-de-gris installés en maître ici, ...comme partout ! et il y en a ! et ils sortent comme des sauterelles. Nous n'avons pas à nous plaindre ici de leur présence, un EM (Etat-Major) est dans les villas, et j'ai pu jusqu'à présent garder la vieille maison vide. Je ne sais si je pourrai l'obtenir jusqu'au bout, je vous répète ce que je vous ai déjà écrit plusieurs fois : j'ai eu des relations courtoises avec mes voisins, mais ce n'est pas sans un énorme crève-coeur que nous nous plions à leurs lois

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Vierville  19 août 1940

.......Même notre petit village est envahi ; et bien m’en a pris de ne pas quitter la vieille maison que j’ai jusqu’à présent préservée d’hôtes indésirables. Toutes les villas de la plage sont habitées par un E.M. officiers et hommes. Jusqu’ici c’est courtois. Dubois (le maire) qui  cause un peu allemand est à la hauteur de sa tâche et défend âprement ses concitoyens. Mlle de P. (à Gruchy, ?) a eu 50 hommes chez elle ; avec toutes les inconvénients (sic) qui s’en suivent.

........H.A. démobilisé ….. Nous l’avons revu pendant 24 h. Il avait dû faire à pied avec sa valise à la main les 20km qui nous séparent de Bayeux car l’essence est introuvable maintenant, pour nous. Il n’en est pas de même pour les B. (Boches) qui ne sont jamais à pied ; quelle tristesse, mes enfants chéris que de voir notre cher pays sur un tel joug. Nous en souffrons tous, et ma santé n’est pas brillante.

........Mr. Godard est mort à Sablé comme il fuyait avec les siens en auto vers le Sud ;

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22 septembre 40 extraits
.......Je profite du voyage de H.A. qui est venu chercher les siens pour les ramener à Paris et repart tout à l'heure en auto, pour vous envoyer ces quelques nouvelles qu'il espère pouvoir faire passer en zone libre, donc vous adresser. Nous sommes toujours coupés du reste du monde de par la volonté de nos vainqueurs qui ont la poigne rude. Mais d'abord des nouvelles de tous ; je suis sans rien directement de vous depuis le mois de juin, quel supplice ! Cependant j'ai pu savoir par H.A. qui l'a su de Gilbert qu'une lettre de toi datée de fin août est arrivée au Bl.(Le Blanc, siège de Hersent en zone libre), donc vous vivez et, je l'espère ! en bonne santé. Cela ne vaut certes pas vos courriers de chaque semaine, mais c'est au moins q.q. chose.
.......Donc je n'ai pas bougé d'ici et de ce fait la vieille maison est toujours intacte, occupée il est vrai par des officiers dont la courtoisie est suffisante. Ils habitent au 2ème et prennent leurs repas dans leur mess au manoir de Than. Vos soeurs étaient avec moi depuis août.

........Ici le village est occupé, il y a des verderets dans toutes les maisons ; mais sans grand pillage, nous commençons à sentir les restrictions, car nous avons à nourrir en France plusieurs millions de vainqueurs et beaucoup de provisions passent en Allemagne. Triste sort que le nôtre ; nous ne sommes pas encore revenus de cette humiliation ! Notre gouvt. n’arrive pas encore à grand chose, quant aux coupables de cette horrible défaite, ils méritent la mort.

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24 septembre 40 lettre de HA (à Paris) à HF (à l'étranger).     C'est le brouillon de la lettre, on ne sait si elle est arrivée.

......Il y a bien longtemps que nous n'avons eu de tes nouvelles et bien longtemps aussi que nous t'avons écris. Ayant obtenu un laisser-passer pour aller en zone libre, j'en profite pour te mettre au courant.
........Tu trouveras ci-joint un mot de ta maman que j'ai quitté avant hier matin à Vierville. Elle n'est toujours pas en bonne santé, elle se maintient cependant avec des haut et des bas. L'obligation des loger des allemands a été pour elle une grande cause de soucis, d'énervements comme tu peux le supposer, bien que tout se soit passé dans les moins mauvaises conditions possibles.
........Comme elle était restée au moment de l'occupation, la Kommandatur de Vierville (capitaine de ??? très correct) n'a mis personne au château ; mais au milieu d'août, il y a eu tellement de troupes à loger qu'elles se sont logées sans passer par la Kommandatur, et c'est ainsi qu'une première série qui a duré 5 jours s'est installée à la maison : 3 officiers, 1 ordonnance, 100 h dans le bois, avec une vingtaine de camions, voitures, motos, etc... Cela a été la période la plus désagréable, cela faisait beaucoup de mouvement, de bruit, avec quelques dégâts (minimes d'ailleurs) dans le bois et le potager.
.........Une 2ème série comprenait un capitaine très aimable par lequel nous avons obtenu qu'il n'y ait plus de soldats, mais seulement 2 ou 3 officiers.
.........Actuellement il n'y a plus qu'un colonel qui paraît bien et qui loge dans la chambre de D.. C'est la meilleure solution, car cela fait fuir les soldats et autres officiers, et il est à souhaiter qu'il reste longtemps.
.........L'attitude des occupants est en général correcte, cherchant même à se concilier la population, mais dès qu'ils se croient dans l'obligation de (???illisible). avec brutalité.
.......De plus ils ont la main et le contrôle sur tout en zone occupée, et la France est vidée peu à peu de sa substance par les réquisitions de produits alimentaires, matières premières et matériel, destinés à l'entretien des troupes d'occupation et aux nécessités de la guerre avec l'Angleterre qui naturellement passe pour les Allemands avant toute autre préoccupation.....

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