80 Lettres écrites de Vierville pendant la guerre en 1939 et 1940 Ces lettres ont été
écrites par une parisienne réfugiée à Vierville
depuis septembre 1939. Elle écrivait régulièrement
à son fils, qui vivait à l'époque loin de la France.
La plupart de ses lettres ont été conservées et les
extraits ci-après contiennent des éléments qui peuvent
servir à comprendre la vie du village à cette époque.
Lettres
de Madame MH (à Vierville) à son fils JH (en Amérique
du Sud) Le fils de Jeanne (qui faisait son
service militaire) écrit de Maubeuge qu’ils sont prêts à partir et
que cela ne tardera guère. La pauvre maman pleure silencieusement. mon Docteur (Lehoux, à Trévières)doit
être parti également, c’est une jeune Doctoresse choisie par Lehoux qui
viendra le remplacer à Trévières . Il en dit beaucoup de bien. Même jour 15h, ma lettre interrompue par le déjeuner l'a été aussi par le décret de mobilisation générale. C'est donc la guerre...Demain Phil nous quitte et sans doute JC. Je n'ai pas besoin de vous dire ce que nous ressentons tous..... _______________________________________________________________________________________________
…….La mobilisation s'est terminée hier
dans le plus grand calme, les hommes sont partis sans une récrimination,
les femmes ont retenus leurs larmes. Mlle Huet s’emploie le plus intelligemment
du monde et avec un dévouement inaltérable à contenter tout le monde et
son père ce qui est bien difficile. Notre maire
est parti lui aussi…et notre brave Muscadet (le cheval)
que HN a été conduire hier matin à Trévières d’où il a été dirigé immédiatement
en troupe vers Caen . Je le regrette, mais qu’est ce que cela à côté du
sacrifice de tant de mères, de tant de femmes ! ….. Toutes les villas sont à peu près occupées,
et de ce fait on a réglé sévèrement (même dans le village) les éclairages
du soir. Notre vieille maison est facile à masquer, dès la nuit c’est
le noir le plus complet. Il s’agit de ne pas donner aucune indication
aux Boches, déjà on aperçoit longeant la côte les gros cargos, et le sémaphore
est peuplé de mathurins ; alors que tous les pêcheurs de Grandcamp
ont presque tous repris leurs sacs pour aller s’embarquer sur nos bateaux,
il reste les tout vieux et les
trop jeunes qui ont repris les petites barques pour aller pêcher et aider
ainsi aux familles des fils qui sont partis ; Nous ne sommes du reste pas rationnés pour un sou, la nourriture ne nous est pas mesurée, ce qui permet de rassasier nos boys dont l’appétit s’aiguise à l’air du large. Le beurre a diminué sensiblement, les envois sur Paris étant en partie arrêtés, en partie seulement car les trains peuvent emmener les civils jusqu’à impossibilité. …J’ai reçu ce matin une lettre de la légation Tchécoslovaque me demandant si besoin était, je ne refuserai pas mes conseils et une aide à la femme du secrétaire, envoyée ici avec une dizaine d’enfants dont les pères se sont engagés pour combattre le Boche. Bien sûr ! …Mon jardin est toujours beau, on cueille des poires, j’en enverrai en panier demain aux petits de la plage…. J’ai écrit à tous nos amis, y compris bien entendu à votre maman, ma petite Maine,… aucune réponse. Toutes les lettres arrivent au compte-goutte… ___________________________________________________________________________________________
Nous ne manquons de rien ici, le beurre
et tous les produits du lait ont même baissé, comme à chaque automne.
........presque toutes les villas sont
occupées par les mères, les femmes, les enfants, et les gendarmes ont
fort à faire le soir pour faire clore les yeux de toutes ces fenêtres
éclairées. Il ne s’agit pas de faire signe aux Boches. L’autre jour une forte canonnade au NO
nous a fait supposer que celui-ci n’était pas loin. Et le ciel est parcouru par des escadrilles de gros bombardiers qui
surveillent la mer et protègent le débarquement de nos amis d’outre Manche,
dont les grosses autos sillonnent nos
routes chargée de matériel et sans doute de « jams » »
de ???? et de thé. Quel réconfort de sentir ces braves garçons
et leur cavalerie de St-Georges à côté de nous. _______________________________________________________________________________________ Vierville,
samedi 16 septembre 1939 (EXTRAITS) ……… Les hommes sont partis, sont remplacés
dans nos fermes par les vieux, les femmes et les jeunes. L. est aujourd’hui
occupé à engranger chez Dubois, et lundi les 3 boys restant iront rentrer
la récolte chez une petite fermière dont le mari est au front. Pas de nouvelles du fils de Jeanne, c’est bien long, il a dû partir dès le 1er jour pour le front. Ici nous récoltons des poires, et j’ai
pu en envoyer de bons paniers aux petits réfugiés et aussi aux petits
tchèques ; il en part aussi dans plus d’une maison du village, et
nous tricotons comme des diables , Mme A est pour cela une précieuse aide
et enrichit nos provisions de lainages pour l’hiver ; il en faudra
beaucoup pour les soldats et les petits ; Il ne s’agit pas de se
laisser gagner par le froid. Tiens ! cela m’amène à vous dire que le bouilleux s’est enfin décidé à venir (c’est un réformé) depuis deux jours mon tonneau de 1400l de gros cidre qui attendait depuis 2 ans s’est mué en 96l de calva exquis, dit-on, et qui ne demande qu’à vieillir . On fêtera la victoire avec, pas mon H. ? J’en boirai… si Dieu le veut ! _____________________________________________________________________________________ Vierville,
mardi 19 septembre 1939 (EXTRAITS) …. Mon brave (docteur) Lehoux est parti avec le 43ème (le régiment de Caen ?) où il est médecin……….………. Q. a rencontré son régiment l’autre jour sortant de Caen, en excellent ordre de marche, plein aux as de canons et de munitions, tout neuf, soldats, officiers de belle tenue, chevaux en excellent état, Vive la France !…… …. Les Russes sont entrés en Pologne sous
prétexte d’y maintenir l’ordre, les malheureux Polonais sont écrasés entre
les Boches et les Russes. … ..... Nos amis d’outre mer continuent à débarquer non loin d’ici ; c’est une merveille que de constater leur équipement et leur matériel. Ils s’installent sur la côte Ouest de notre presqu’île, Q. rentrée hier soir en a croisé tout le temps, et les avions nous survolent souvent. Le sémaphore est rempli de vétérans et nos douaniers ont reparu ; on veille aux Boches ; si seulement il y avait un de leurs sous-marin qui s’échoue par ici ! … Nos garçons aident à la récolte, K. a passé toute la journée de samedi à engranger chez Dubois ; Il a tenu le coup très vaillamment malgré la tâche rude qui lui incombait. ….. Mr A. et F. cherchent à louer une maison à Grandcamp. On évacue en partie leur bourgade, il n’y a plus un seul enfant….. ____________________________________________________________________________________ Vierville,
mardi 20 septembre 1939 (EXTRAITS) On me prévient aimablement de la poste
que le courrier avion est rétabli avec vous, sans en savoir le jour, je
vous écrit dès maintenant ; nos lettres sur Paris et toute la France
sont fort retardées, et pour cause : contrôle et un personnel réduit
aux PTT, aux convois, les lettres sont surtout réservées aux soldats,
je risquerait en attendant de manquer peut-être ce bienheureux courrier.
Je resterai ici où est ma place, je me
dois à bien des misères ici, quand ce ne serait qu’à ces 80 petits de
3 à 6 ans, évacués de Paris et qui sont installés chez Piprel.
Ce sont des enfants pauvres, il faudra beaucoup de lainages cet
hiver ; nous tricotons à force et j’ai déjà une bonne provision d’avance.
Georges, le fils de
Jeanne et de Léon a été au front dès la première heure ; il
est parti très simplement et avec courage (il était en permission agricole
le jour de la mobilisation) mais nous sommes sans nouvelles de lui depuis
le 1er, sa pauvre maman et Léon font peine, j’ai bien du mal
à les remonter. …Chacun fait largement son devoir sans
plainte, nos boys aident les fermières restées seules à engranger, notre
maire fait le pain à l’occasion, aide aux battages, etc.. Mr. Leterrier
a vu partir ses 2 fils et son gendre et reste avec 2 fermes importantes
sur les bras, beaucoup de parisiens sont revenus avec les petits, occupant
les villas de la plage. Les A. père et fille sont en pourparlers
pour louer une maison à Grandcamp……
...... Il est possible aussi que la vieille
maison soit réquisitionnée en partie pour des réfugiés, on évacue toute
l’Alsace sur le Limousin. Je ferai de mon mieux pour adoucir à ceux qui
en auront besoin les tristesses de l’heure. En attendant nous tricotons
avec acharnement, les journaux, la TSF réclament que toutes les femmes
tricotent en pensant à l'hiver qui s'amène et sera dur pour nos soldats.
Et puis nous allons recevoir 100 autres enfants évacués, je ne sais d'où,
et qui vont avoir besoin aussi de vêtements chauds... on va les installer
chez Merlin, Pignolet, etc, où ils trouveront un accueil confortable,
déjà les 40 petits que nous avons depuis 1 mois ont changé de mine. … Ainsi que vous le savez Caen ne servira pas aux étudiants, toutes les facultés sont transportées ailleurs à cause des hauts-fourneaux et des poudreries qui fonctionnent à plein rendement actionnés par des mobilisés de 40 à 50 ans. _______________________________________________________________________________ Vierville,
samedi 30 septembre 1939 (EXTRAITS) .......Notre village est très animé par
tous les réfugiés et les petits que l’on nous envoie. On dit, et c’est
bien possible que beaucoup des premiers
rentrent chez eux, leur installation dans certaines de nos campagnes
étant bien précaire et insuffisante. Le gouvernement réclame en vain que
l’on ne rentre pas à Paris, où d’un moment à l’autre le Boche peut
déclencher une offensive meurtrière qui nécessiterait une nouvelle évacuation. …. La nourriture reste facile ici et sans augmentation, mais il faut s’attendre un jour ou l’autre à revoir les cartes de pain, de sucre, etc, _____________________________________________________________________________________ Vierville
samedi 7 octobre 1939 (EXTRAITS) Le discours d’Hitler prononcé hier au
Reichstag qui enrage de ne pas
avoir abattu le résolution de ceux qui veulent l’abattre ne nous laisse
plus d’illusions sur la façon dont la guerre sera maintenant conduite
de la part des Boches. A la TSF on l’entendait vociférer comme un fou….
Comment y a-t-il encore des neutres devant cela ? … ce ne sont pourtant pas les hommes qui
manquent, les casernes et les dépôts regorgent de réservistes, ainsi que
l’arrière front, de troupes, à ce point qu’on a pu accorder des permissions
pour les récoltes…..La vie même de notre village s’organise déjà mieux.
…. Les produits agricoles se vendent bien
malgré la mévente sur Paris dont une partie de la population est
évacuée. Nous en savons quelque chose par ici, Grandcamp est bondé de
Parisiens du 4ème et d’habitants de Vincennes, ….. je conçois
bien pourtant que cela peut être dur pour tous ces pauvres gens de quitter
tout ce qu’ils ont…… ….Dès le départ de tous mes chéris, je prendrai mes quartiers d’hiver,……, mais je ne mettrai le reste de la maison qu’en demi veilleuse, car il se pourrait que d’un jour à l’autre je sois envahie par des réfugiés ou de la troupe.. ….. nos amis les anglais ne sont pas installés loin d’ici et leurs superbes convois continuent à défiler sur nos routes normandes vers l’Est. Tout cela est rassurant mais serre le cœur… c’est le fait d’un fou et de sa bande de ?? et du peuple dont ils sortent, car mon opinion a encore moins de raison de changer que jamais, ce sont tous des bandits. __________________________________________________________________________________ Vierville
dimanche 15 octobre 1939 (EXTRAITS) Mes enfants chéris, je viens d’entendre
le communiqué officiel de cette nuit que nous transmet la TSF, il est
conçu à peu près dans les mêmes termes : activités de patrouilles
ennemies repoussées, duels d’artillerie de part et d’autres. Et voilà
tout ce que nous savons… … De Lapis dans sa dernière lettre aux
boys prétend que dans son secteur (il doit être dans les Ardennes) il
entend de temps à autre un coup de canon et que c’est cela que les communiqués
appellent un duel intense d’artillerie. Il faut faire la part de son esprit
sarcastique et entrain qui doit être bien précieux à ses camarades, mais
il faut bien dire que tout paraît calme
« Qu’est-ce qu’on attend ? »
dirait ton cher papa. Sans doute a-t-on des raisons péremptoires
pour être ainsi l’arme au pied. ……un
mobilisé venu pour aider aux récoltes et aux battages prétend que son
frère artilleur lui aurait dit que plus de 10 rangées de canons les uns
derrière les autres attendent les Boches. …. … rien de nouveau ici, l’automne s’avance doucement…. On ramasse les dernières poires. J’ai pu faire des heureux avec tous ces fruits, sans compter tous ceux qui ont régalés vos neveux. .......Il a fallu ajouter une classe, qui se fait à la Mairie, pour les petits des familles réfugiées dans les villas. J’ai vu quelques réfugiés dont l’allocation se fait attendre. Nous n’y pouvons rien. Je ne suppose pas que les caisses de l’Etat regorgent de réserves, et cependant que de dépenses de tous côtés. J’aide tant que je peux, en réservant cependant la plus grande part pour notre petit village. J’ai vu Dubois hier et dois voir Mlle Huet ces jours-ci ; tous remplissent leurs devoirs de maire et de secrétaire avec une bonne humeur admirable. On n’imagine pas le flot de paperasses dont ils sont surchargés, et le brave Dubois est toujours prêt à donner la main au battage des grains, aux labours qui devraient être faits dans les fermes dont les hommes sont partis. Braves gens que ceux-là qui font leur guerre eux aussi. Je crois …. le budget de notre cantine bien bas…. _________________________________________________________________________________________ Vierville samedi 21 octobre 1939 et Dimanche
22 octobre 1939 (EXTRAITS) … Piprel remplit sa tâche admirablement, il manque à ces petits leurs papas et leurs mamans !… une grosse camionnette a apporté de Paris, pour eux, des vêtements chauds. J’ai vu les institutrices et aussi not’ maire, le budget de la commune ne permettra pas d’ouvrir la cantine scolaire cet hiver. Beaucoup de ceux qui en étaient les clients ont des parents qui ne sont pas partis. On les aidera avec des bons de pains et de viande ; .....Les allocations sont versées avec beaucoup plus de parcimonie qu’en 1914 ; non sans raison, il y a eu de tels abus ! Les enfants touchent toujours, mais les mères dont beaucoup sont cultivatrices ne touchent rien. En général les pères de 4, 5 ou 6 enfants restent à l’arrière. ….Jusqu’ici aucun de nos petits soldats de la contrée n’est signalé blessé ou mort, à part 2 garçons d’Asnières, qui servaient d’agents de liaison sur motocyclette, se sont écrasé contre un arbre. _________________________________________________________________________ Vierville
samedi 28 octobre 1939 et Dimanche
matin 29/10, (EXTRAITS) .......Il ne reste plus qu’à attendre
les permissions que Daladier promet à tous d’ici peu. Il faut éviter ce
qu’en 1914 on a fait en retenant sous les armes les soldats qui sont restés
plus d’un an sans revenir chez eux. La situation était du reste bien différente….
maintenant le mur de la ligne Maginot soutenu par nos chars et nos canons
oppose …… une barrière infranchissable. .......Les communiqués ne donnent que
peu de détails, car l’activité est réduite à peu de choses. Il doit cependant
y avoir des victimes, mais jusqu’à présent notre petit coin est indemne.
Les classes 1909 et 1910 (des hommes âgés de 49 et 50 ans) viennent
d’être démobilisées…. …. Vraiment on se demande ce que pense
et nous réserve ce fou d’Hitler. On s’attendait paraît-il cette semaine
à une forte attaque entre Sambre et Moselle, puis au passage de
centaines de chars Boches par la Hollande. .. ......La foudre est tombée
hier soir avec un bruit effroyable sur
le paratonnerre de la tour de l’évêque ……..ne causant aucun dégât,
même pas celui, toujours à craindre, de souder le paratonnerre. Mais est-cela ?
mon poste de TSF est muet depuis lors, et je le regrette bien car les
nouvelles données 3 fois par jour et la très bonne musique m’aidaient
à passer les heures en tricotant. Je n’avais pas eu le temps de fermer
le compteur, car cela a été soudain, surprenant toute la maison…. 29/10 Depuis hier soir, j’ai trouvé un médecin pour mon poste, et je n’en suis pas fâchée. En l’espèce c’est le fils de Gambier qui a été envoyé avec d’autres soldats comme garde-côtes. Il est donc venu fort aimablement et a trouvé qu’un plomb avait été fondu, peu de choses donc, il rentrait de garde et avait trouvé sur la plage le corps d’un noyé. D’où vient-il ce pauvre corps ? Quelque victime des Boches peut-être, dont on un gros submersible s’est échoué près de Douvres ; une épave où l’on a trouvé 60 cadavres. Que tout cela est triste ! La mer rejette dans sa fureur, car la tempête continue, des tas d’épaves qui viennent on ne sait d’où. ___________________________________________________________________________________ Vierville
samedi 4 novembre 1939 (EXTRAITS) .....Georges Victoire est en Bretagne pour X temps, une partie de son régiment est venu instruire des jeunes et des Polonais dont des régiments, ainsi que des Tchécoslovaques se forment tous les jours. ......Beau temps cependant depuis 2 jours,
ce qui a permis …..d’aller gauler les pommiers aux Vignets, ce sont les
7 vaches maigres, et l’on ne fera pas cette année de gros cidre à foison.
J’avais heureusement pensé à cela, et il nous faudra seulement un tonneau
de 1400 l de cidre, la récolte y suffira. ........Je fais poser un petit poêle à
bois dans la chambre de K, la chambre voisine de débarras a une cheminée
– c’est donc facile – et je suis aussi en train d’acheter une petite salamandre
que je ferai poser dans la petite salle à manger. J’ai pu voir par ces
temps ci de vent du Nord, qu’il était bien difficile d’y avoir chaud,
et je dispose de 7 tonnes d’anthracite qui attendent depuis 1914 notre
bon vouloir. Heureusement le bûcher a une bonne provision de bois, et
j’ai fait mon plein de charbon pour la cuisine, et le Bon Dieu a soufflé
un peu fort sur un de nos vieux pommiers
du Vignet, qui donnera encore chaud, car il faut penser à nos pauvres
vieux qui se réchauffent mal devant leurs âtres à demi éteintes. .......Je vois de temps à autre Dubois
toujours prêt à rendre service, il m’a apporté un lapin de garenne, braconné
il faut l’avouer, la chasse n’est pas ouverte cette année
- et Mlle Huet à qui je
vais fournir laine, crochet et aiguilles pour les grandes filles de sa
classe qui travaillent pour ceux qui en ont besoin. … ici beaucoup de petits des villas vont à l’école communale…. Mais cela ne va guère et pour cause ! il y a cependant une 3ème institutrice et l’on fait la classe dans la mairie. … ________________________________________________________________________ Vierville
samedi 11 novembre 1939 (EXTRAITS) ......les jours raccourcissent fortement
et voici que par mesure de précaution les autos doivent être munies de
lampes noires. Déjà les lampes bleues donnaient peu de lumière,
celles-ci en donneront si peu qu’on risque malgré toute l’attention voulue
d’écraser quelque passant, surtout en arrivant en ville. En France, on vient de mettre en permission
de plusieurs semaines beaucoup de réservistes dont la tâche était plus
utile à relever et conduire notre ….économie…. que de creuser très à l’arrière
du front des tranchées que personne ne croit utiles. Les pommes ramassées et apportées aimablement
dans le baneau de notre voisin Auvray, ont donné un déficit que je n’ai
jamais connu, à peine 15 barretées
(1/2hectos) pour faire notre tonneau de cidre, il va falloir que j’en
rachète et j’ai d’ores et déjà fait mettre100 litres d’eau dans le tonneau
en vidange. En y ajoutant sucre et produit gâté ce sera très buvable.
Je pleure des larmes de sang sur mon tonneau de gros cidre
que E. n’a eu de cesse de me faire bouillir cet été, j’ai évidemment
100 litres de calvados - que
personne ne touche excepté E. -
au fond de ma cave, mais j’aurais pu en faire bouillir moitié moins
et me servir du surplus pour notre cidre de l’année. C’est une bonne leçon
pour l’avenir. T’ai-je dit que je faisait planter 7 jeunes
pommiers pour remplacer ceux si malencontreusement arrachés l’an dernier
par une bourrasque, et qui étaient de bons vieux arbres en pleine production. Notre petit village est toujours bien
calme, ainsi que je vous l’ai dit la cantine scolaire a été supprimée,
on donnera des secours individuels. ______________________________________________________________________________ ......La vie n’a pas encore beaucoup augmenté,
et nous trouvons tout, y compris l’essence, qu’on distribue largement. _________________________________________________________________________________________ Vierville
samedi 25 novembre 1939 (EXTRAITS) … Ces 2 guerres en 25 ans et les préparatifs militaires qu’il nous fallu soutenir nous ont mis à sec. Je me demande comment on finira par payer tout cela. Nos campagnards s’en tirent, les produits se vendent en hausse, les bestiaux sont réquisitionnés à bon prix, mais il faut bien reconnaître que ce n’est pas sans mal de leur part, car leurs travaux ne peuvent attendre. Vous ai-je dit toute la complaisance que je trouve près de nos braves gens, dès que j’ai besoin d’une charrette et d’un cheval. Léon Auvray est allé hier au Vignet avec Léon me chercher les 2 derniers pommiers arrachés l’an dernier et que Georges avait aidé à scier. Leterrier m’a envoyé hier les pommes dont nous avions besoin pour notre cidre, elles viennent de chez sa fille à qui il aide à mener l’exploitation, dont elle se tire avec succès. Je suis touché de leur complaisance aimable. J’aurais pu avoir un autre cheval ; pour remplacer tous ceux qui ont été réquisitionnés, on châtre de beau pur sang, des cobs surtout, pour l’agriculture. Mais c’est une dépense dont je veux me passer cette année et cela me procurera la ressource de vendre mon foin…. __________________________________________________________________________________________
........H.A. emmène tout le monde – en
deux autos – déjeuner et entendre la messe au Mont St-Michel. Quelle belle
idée d’aller implorer en ce jour le saint patron du cadet. Avec cela il
fait un temps superbe après une horrible semaine de vent et de pluie.
Ils doivent partir de bonne heure et revenir de même (il n’y a que 85km
de Coutances) car on est toujours très sévère pour l’allumage des phares
d’auto dans tous nos départements côtiers….. où nos amis (anglais)
sont installés comme chez eux. Ils ont non loin un champ d’aviation, ce
qui leur vaut de temps en temps une alerte d’avions boches, dont la grosse
cloche de l’église les prévient à temps, mais cela se borne à des alertes
et jusqu’à présent ces cochons de Boches n’ont pas commis d’assassinats
sur la population.
__________________________________________________________________________________________ Vierville
19 et 20 décembre 1939 (EXTRAITS) ________________________________________________________________________________________ Vierville
mardi 26 décembre 1939 (EXTRAITS) …. Je viens de recevoir une lettre de
Q. ce matin postée du 21/12 à Coutances, c’est vous dire si la
poste est irrégulière. ......Rien de nouveau dans notre village,
il y a eu des permissionnaires et un arbre de Noël pour 75 enfants que
j’ai ensuite régalés avec un copieux goûter. Il y a même eu un Père Noël,
en l’espèce l’un de nos gardes maritimes – instituteur de son métier qui
a su dire quelques paroles de bon conseil, les grands en ont ri et les
petits …ont d’abord eu un peu peur puis…. se sont aperçus que les souliers
du P. Noël ressemblaient étrangement à ceux des soldats qui déambulaient
sur nos côtes. ......Les femmes tricotent à longueur de jour pour les soldats, je renonce à vous dire les kilos de laine qu’ont employés vos sœurs ! Elles ont fait bien des heureux en chaussettes, chandails, cache-nez, passe-montagne chez de pauvres bougres de soldats sans parents ou très pauvres. Les lettres de remerciements qu’elles en reçoivent sont tellement touchantes. _____________________________________________________________________________________ Vierville
mercredi 3 janvier 1940 (EXTRAITS) ......Votre aînée tient le coup avec sa bonne santé…. Leur vieille maman .. ..va cependant mieux reprenant quelques forces (c’est long à mon âge !), chaque jours gentiment mes chères filles m’ont emmenée faire un tour en auto, cela m’a changé d’horizon ; nous avons été revoir quelques vieux manoirs et même nous en avons découverts quelques autres dans des chemins défoncés, changés en fermes et fort mal entretenus ! Mais quelques jolis détails, un portillon, des lucarnes, tout laisse voir la prospérité d’autrefois. Et cela repose de toute cette agitation…. …. Mais il faut nous attendre à des augmentations
d’impôts, prélèvements sur les rentes, etc..
J. et B. sont venus m’apporter fidèlement leurs fermages, j’attends
Pohier ( ?), mais j’ai toujours du tiraillement avec Z. qui ne m’a pas encore payé le fermage du mois
de juin. Je vais le faire demander de venir me voir. _______________________________________________________________________________________ 9
janvier 40 extraits …….De plus j’attends vos sœurs cet après midi, elles veulent être demain au service qui se fera pour le Dr Parmentier enlevé en 4 jours par une anémie infectieuse. Il était parfaitement bien le 31 décembre puisqu’il a parlé gentiment à vos sœurs en sortant de la messe, il a dû attraper froid, s’était pas mal fatigué, or il avait 80 ans ! J’imagine le désarroi….… J’ai immédiatement écrit à E. …. Nous avons eu froid et cela a déchaîné
une catastrophe dans le grenier, où le tuyau d’eau a crevé, inondant la
chambre de l’Evêque et le petit salon en dessous. ___________________________________________________________________________________________________ Vierville
16 janvier 1940 mardi (EXTRAITS) ......Mes fermiers m’ont tous payée, les produits agricoles se vendent du reste fort bien, à une vente d‘animaux la moindre vache valait de 4 à 5000F, un cheval sans qu’il soit un pur-sang 10 à 11000F, une jument boiteuse et âgée de 28 ans a fait 6000F. J’ai eu des nouvelles par Pohier du voyage qu’on a fait faire à nos pauvres bourins quand ils ont été réquisitionnés, il les conduisait. Ils ont eu 1 botte de foin chacun pour un voyage de 2 jours sans être abreuvés, je ne m’étonne pas que beaucoup d’entre eux soient hors de service. Quelle gabegie, quelle incurie ! ......Mercredi 17 janvier ___________________________
.....Dans les pièces occupées, nous avons
pu maintenir une température suffisante grâce aux tonnes de bois que l’on
enfourne et à la salamandre qui mange mon anthracite. J’ai fait poser
un poêle à bois dans la chambre de R.…… …..en pensant à nos petits soldats qui montent la garde avec –25 et –28° de froid. C’est ce que nous accuse H.A.. qui heureusement supporte cela sans malaise. Cela ressemble tout à fait à l’hiver 1917 qui ressemblait à celui de 1870….. … J’espère que l’an prochain on pourra en faire autant (rentrer à Paris, comme beaucoup de parisiens font en ce moment). Le coup dur est dit-on pour le printemps prochain, mais comme disait le spirituel Dorin l’autre jour à la TSF « il y a les bons et les mauvais tuyaux… mais tous sont faux » …….. je vois ici tous les parisiens restés pour l’hiver chaudement vêtus de lainages, presque toutes les femmes avec le pantalon de pyjama ou de skis serrés à la cheville sur d’énormes souliers aux fortes semelles, sur la tête un petit capuchon de laine ou de toile cirée selon le temps. J’en ai fabriqués plusieurs de ceux-ci à de vieilles bonnes femmes de notre village qui sont ravies d’avoir chaud à la tête. …….Je fabrique en série des petits capuchons qui ressemblent terriblement à ce que nos bonnes femmes portaient il y a 50 ans, c’était passé de mode, même à la campagne, mais nos vieilles sont ravies de « mucher » leurs oreilles derrière mon tricot. ….Je n’ai revu personne de chez les Parmentier qui doivent être encore plus bloqués que moi à la mer. ___________________________________________________________________________________________ 30
janvier 40 extraits ...
J'avais envoyé un mot à Mme Godard que je savais toujours dans son ermitage
- que tu sais - au milieu des bois. Elle me répond qu'ils ont dû pendant
plusieurs jours se nourrir de pâtes, de pommes de terre et d'oignons dont
elle avait heureusement quelques réserves ; tout va bien chez elle, y
compris un de ses gendres qui n'a pas quitté le front depuis septembre.
31 janvier ……Hier à la TSF je suis tombée, par hasard, sur un poste allemand qui diffusait un discours que j'ai su ensuite être celui d'Hitler : un vrai dément vociférant sa parole hachée qui contenait, paraît-il, nous dit-on ce matin toutes les injures coutumières ; cela s'est terminé par des Heil ! si scandés qu'ils ne pouvaient être que guidés par un maître de cérémonies. Il continuait à l'infini sans se taire et j'ai tourné le bouton pour ne plus entendre ces cris qui me brisaient le coeur. Quand on pense à l'effort, au sacrifice de tous les français pour vaincre ce diable déchaîné on se demande si Dieu n'aura pas pitié de nous en nous en débarrassant avec la clique qui l'entoure. __________________________________________________________________________________________________ Vierville mardi 6 février 1940 (EXTRAITS) … cela m’amène à parler de notre pauvre Muscadet, dont j’ai eu indirectement des nouvelles : une partie des beaux et forts chevaux normands partis dès la 1ère heure sont paraît-il, hors d’usage, tant les soins et la nourriture leur ont manqué, ……… nos campagnes où les exploitations agricoles ont à peine de quoi se suffire pour les travaux actuels. … j’ai.. terminé un gros chandail qui
va partir au front pour un de nos petits soldats de Vierville qui me l’a
demandé. J’y joindrai quelques gourmandises et un petit viatique car c’est
un père de famille de 2 enfants ; la mère trait pour s’aider à vivre,
et l’allocation accordée par l’Etat ne permet que l’indispensable. … plusieurs ajournés des vieilles classes ont passé une nouvelle révision. D’aucuns, dont le fils Ygouf ont été repris. ________________________________________________________________________________________________________
Avec Q., nous avons été faire quelques promenades ; j’en ai toujours grand plaisir ; nous sommes allés jusqu’à Campigny où il y a 2 vieux châteaux ; mais nous y retourneront pour visiter l’église où se trouvent 4 gisants, et aussi une belle cheminée Renaissance dans une ferme. C’est enterré dans la campagne, tout cela à 15 km de La Mine et l’on se demande pourquoi tout ce luxe et à qui il servait ! Les chemins qui y mènent ne sont pas bons ! qu’est ce que cela devait être sous Louis XII ou François 1er ? ________________________________________________________________________________________ Vierville mardi 27 février 1940 (EXTRAITS) …..Rien de nouveau dans notre village,
les vieux dégringolent les uns après les autres, c’est de leur âge, on
enterre demain le père Brisset, ancien facteur et le vieux père Célestin
est au plus mal…. ......Dagoubert a travaillé toute la semaine à réparer les dégâts causés par la gelée, un vrai désastre, surtout dans ma salle de bains, il a fallu enlever la baignoire, soulever 3 tuyaux venant de ….., l’un était crevé au passage du plafond ! Mercredi 28/2 1940 …. Je viens de voir Dagoubert pour la fuite du réservoir ; après avoir exposé que la réparation en était très difficile – moi de lui répondre que rien n’était impossible et qu’il fallait le faire, il se trouve que ce n’est pas le réservoir, mais un tuyau de plomb qui passe par derrière qui est crevé. Cela se fera donc sans trop de mal. Cela m’a permis de constater que le plafond de la salle du moteur s’affaisse terriblement… idem dans l’endroit où l’on met les carrioles. Le poids des plafonds de terre en est cause ; mais quelle réparation !… je suis bien vieille pour entamer tout cela et au surplus il n’y a pas un ouvrier par ici en ce moment qui puisse la faire. ____________________________________________________________________________________________ Vierville mardi 5 mars 1940 (EXTRAITS) Vous avez dû voir que notre gouvernement
organise la carte de rationnement, qui sera de viande, de pain
et de sucre ; déjà les boucheries sont fermées pendant 3 jours de
suite, les charcuteries 2 jours, les pâtisseries 3 jours et la vente
de l’alcool idem (voilà une bonne mesure pour le Calvados !)
. Pour nos appétits réduits, pour K. et moi, je ne suis pas inquiète,
mais je me demande comment vont faire les sœurs devant les appétits des
jeunes qui ne rassasient pas ! Il va falloir doubler les plats de
nouilles, de riz et de pommes de terre… Tant pis si c’est pour la France
et pour la victoire. … Not’ maire est malade…... ….. J’abolirais, si je le pouvais, le privilège des bouilleurs de cru qui procure à tous ces gens une provision d’alcool à bon compte. J’ai eu la visite de nos institutrices ; …. Je leur fournis la provision de laine dont elles ont besoin pour apprendre à crocheter et à tricoter à leurs filles. Le résultat n’est pas si mauvais que cela, et j’ai promis en fin d’année de donner une récompense à la plus adroite : sac à ouvrage ou autre. Ces deux braves filles se donnent bien du mal pour leurs élèves. …… _________________________________________________________________ 12
mars 40 extraits ........Il y avait 40 ans qu'il était curé de la paroisse. Je ne sais pas trop qui nous allons avoir, les prêtres sont rares, les jeunes partis aux armées, il y a des chances pour que nous soyons desservis tant bien que mal par le curé de St-Laurent qui a déjà 3 paroisses à son compte, avec Vierville et Louvières je me demande quand nous aurons une messe !! ..... Le maire sort d’ici, il devait aller parler au doyen de Trévières (ancien missionnaire …..) et tâcher d’arranger les choses. Ce n’est pas l’argent qui manquera, j’en suis sûre, je serais navrée que notre village soit sans prêtre, et je pense avec émotion à Celui qui vient de partir, il nous aimait bien tous, et c’est encore un peu de tout mon vieux passé qui s’en va ! L’hiver a été cruel à tous les vieux. ........Les grands garçons voient arriver Pâques avec le sourire, ils devront aller à Rouen passer l’examen de préparation militaire supérieure qu’ils ont préparé obligatoirement comme élèves aux grandes écoles. D’ici à Rouen, c’est 150km et l’essence est de plus en plus rare, en prenant le train il faut coucher 2 jours en route. Les trains sont raréfiés également. Il est incompréhensible qu’on ne fasse pas plus près d’ici passer les dits examens puisque l’on recommande d’économiser l’essence et de ne prendre le chemin de fer qu’absolument obligés. C’est incroyable ce que dans notre cher pays il peut y avoir de non sens … et de gaspillage. ___________________________________________________________________________________________ Vierville 18 mars 1940 mardi matin (EXTRAITS) … nous avons été privés de messe ici, hier matin, nous avons eu la ressource de St-Laurent, nous aurons un service le jour de Pâques, le brave curé de St-Laurent se multiplie entre les 5 paroisses qu’il a à desservir. Nous sommes même privés de l’Angélus, le conseil municipal s’active beaucoup à combler tous ces vides ; c’est si triste une paroisse sans prêtre et sans cloches ! ___________________________________________________________________________________________ Vierville mardi 25
mars 1940 (EXTRAITS) ..........Nous n’avons pas trop mauvais temps, il fait doux avec quelques averses ; grande marée qui a permis à nos garçons d’aller nous cueillir des moules au bout de la Percée avec leurs canoës.(Observations de D. : Le rocher devant la Percée, qui n'émergeait que par grandes marées était la "roche marcelle"; c'est de là que nous avons rapporté des moules lors de notre première sortie avec les deux canoës le jour de la déclaration de guerre, et après; comme personne ne pouvait y aller à pied, les moules étaient très grosses et très propres) Ils sont revenus avec un plein sac de belles grosses moules, et un plus petit de gogins. ______________________________________________________________________________________________________
Mercredi 26 mars
........Nos boys partis ce matin dès 6
heures pour prendre le seul train qui peut les emmener à Rouen où ils
seront pour le déjeuner, nous les reverrons vendredi matin car ils n’arriveront
que dans la nuit à Bayeux. Voilà un examen qui aurait gagné à être simplifié,
et je m’étonne que le service militaire n’ait pu faire quelque chose d’analogue
aussi à Caen ? Ce ne sont pas les officiers et la troupe qui manquent,
il y en a partout. Il faudra recommencer cela en juillet et l’on ne saura
pas le résultat. ______________________________________________________________________________________________
… Nos boys ont été jeudi à Rouen pour passer la première partie de leur PMS – la 2ème partie se passera en août - cela est obligatoire pour les élèves qui préparent les grandes écoles. Nos gars ont trouvé parmi leurs examinateurs le Lt François de Bughas. ....Entre des journées de beau temps nous
avons eu un véritable raz de marée arrivé subitement et reparti de même
le jour de l'équinoxe. Le boulevard de la mer était innabordable, tous
les jardins inondés, celui des Guignard entre autres où il y a encore
60cm d'eau dans le bas. Tout est à refaire dans ce cas là dans un jardin.
La terre elle-même est inutilisable. Il paraît que le spectacle vu de
la falaise était splendide, mais quand la mer s'est assagie, on a trouvé
la route envahie de galets et de grosses excavations aux protections qui
suivent jusqu'à St-Laurent. La digue n'a guère souffert. Gros travail
à refaire. ...... il a fallu cependant fermer les persiennes du côté de
la mer pour nous abriter du vent qui s'infiltrait partout. Le beau temps
qui a suivi a permis.......de travailler ferme au jardin, il prend très
belle allure et nous aurons cette année une belle récolte de pommes de
terre et légumes. Il le faut, nous ne voyons pas ce que nous réservent
les mois qui vont suivre, on établit demain la carte de ravitaillement
pour toute la France . Cela n'a guère d'importance pour les vieux et les
petits qui en auront toujours assez, mais je me demande comment on étalera
devant des appétits comme ceux de nos boys. ________________________________________________________________________________________________
Vierville,
mardi 9 avril 1940 (EXTRAITS) …. Les nouvelles navales du côté de la Suède et de la Norvège sont brûlantes ; ces neutres ont été au dessous de tout, ils protestent maintenant que nous refusions de laisser les bateaux boches chargés de minerai suivre leurs eaux territoriales sous la protection même des torpilleurs norvégiens. Une nouvelle sensa de New-York arrivée ce matin prétend que les Boches ont envahi le Danemark pour pouvoir mieux se défendre et l’escadre complète de Wilhemshafen aurait appareillé vers le Nord Ouest. On s’attendrait à un combat naval. On a le cœur serré en pensant à tout ce qui peut s’en suivre ; mais il faudra bien malheureusement en arriver à se cogner ferme. Mercredi …. Depuis hier les nouvelles se précipitent et la guerre s’allume en Scandinavie… on dit qu’une grande bataille navale entre les flottes franco-britanniques et allemandes se déroule sur les côtes norvégiennes, les nouvelles les plus diverses nous sont parvenues, même par TSF. ….. Je suis, comme vous l’êtes sûrement mes enfants chéris, horriblement angoissée de l’avenir. Que Dieu nous garde tous. _______________________________________________________________________________________________ Vierville,
mardi 16 avril 1940 (EXTRAITS) Le curé de St-Laurent dit une messe ici chaque dimanche, souvent même les vêpres, et s’occupe des petits communiants. Il a réinstallé un chantre, les enfants de chœur sont mieux tenus, et moins bavards ; l’église plus propre. ......C’est maintenant le brave Coliboeuf (le mari de Jeanne, notre cuisinière) qui sonne les angélus avec beaucoup de régularité et de force, car le voici maintenant notre garde-champêtre …. J’ai l’impression ( !) que peu ou point de nos soldats sont partis pour soutenir les anglais et les norvégiens, mais nous tenons ferme la ligne Maginot de Belfort à Calais, prêts à rentrer en Belgique si besoin est. Je me demande un peu ce que pensent les Boches et où ils veulent en venir. .....Je me suis bien amusée l’autre jour à voir toute la colonne des petits parisiens de chez Piprel venus sur ma demande se promener dans le bois, j’ai fait une distribution de sucettes, naturellement, les institutrices leur avaient dit qu’elles les emmenaient au bois de Vincennes. « Mais c’est bien plus joli que le bois de Vincennes » disait l’un d’eux, et l’on est reparti les petites mains pleines de fleurs le sourire aux lèvres. … Ils sont ici encore pour X temps. ______________________________________________________________________________________________ Vierville,
mardi 23 avril 1940 (EXTRAITS) …..J’ai aussi reçu la visite des institutrices qui vous envoient leurs respectueux souvenirs. On prépare activement à la mairie les cartes de rationnement dont nous serons gratifiés en juin. .........avec toutes les dépenses que je vais avoir à faire pour Vierville. J’arriverai à joindre les 2 bouts sans plus et encore ! Reste à savoir ce que le Gouvrnt nous réserve comme impôts ; il va falloir s’attendre à une grosse note !… mais Vive la France ! On voit s’éterniser la guerre et pour ma part je ne conserve guère l’espoir d’en voir la fin cette année. La TSF est très discrète, trop à mon sens, car nous ne savons rien de ce qui se passe. (la guerre de Norvège était encore indécise avant de tourner mal pour les Alliés) Dure attente pour tous. ____________________________________________________________________________________________ Vierville,
mercredi 30 avril 1940 (EXTRAITS) …Les opérations ne semblent pas s’exagérer
à l’Est ; les permissions de nos soldats avaient été supprimées,
elles sont rétablies, je pense que nous verrons bientôt notre caporal
et sans doute aussi Georges Victoire ; celui-ci à qui j’envoie des
colis de temps à autres ou un mandat, m’écrit ma foi très gentiment et
on le sent plein d’entrain, est-il en plein front en ce moment ?…
…. J’ai eu hier la visite de Mme Monceti,
la femme d’un secrétaire de légation de Tchécoslov., réfugiée ici avec
ses enfants, son mari est toujours à Paris à la Légation. Elle a eu pendant
plusieurs mois chez elle une quinzaine d’enfants tchéques réfugiés et
je les ai aidés un peu. Son mari…. m’a fait parvenir plusieurs très belles
brochures coloriées de leur pays….. ......Rien de nouveau dans notre village où les travaux des champs sont courageusement faits par des femmes et des tout jeunes gens. Nos boys auront de quoi s’occuper pendant les vacances. Mon foin paraît superbe, même dans le champ de « Pompon » qui n’est plus piétiné par le cheval. Je vendrai la récolte une fois bottelée __________________________________________________________________________________ Vierville - mardi
8 mai 1940 – extraits ......on sonne le glas du pauvre Piprel qui s’est tué en auto vendredi dernier…. ......Jeanne est venue m’avertir que Piprel revenant de Formigny où il avait été conduire son fils à l’autobus venait de se tuer en se rencontrant avec un camion venant de Port, au carrefour de la Poste. Il a survécu de quelques minutes à cet affreux accident, le temps de chercher sa femme. Il a succombé à une crise cardiaque, car il n’était pas blessé dangereusement. Et voilà une famille dans la désolation, la brave mère Piprel est bien dans l’impossibilité de finir d’élever ses fils dont l’un du reste va partir incessamment aux armées, et l’autre est encore au lycée. Le Casino est encore mobilisé et donne asile à une trentaine de petits parisiens et à leurs institutrices. ______________________________________________________________________________________
......L’envahissement des Pays-Bas et
de la Belgique a été comme un coup de foudre ; certes on pouvait
s’attendre à tout avec les chiens enragés de l’Est, mais on pouvait tout
de même espérer qu’ils respecteraient leurs promesses, il n’en paraît
rien et nous suivons d’heure en heure le progrès de ces hordes qui rappellent
les Huns. __________________________________________________________________________________________ ........Depuis 2 jours surtout un défilé
d’autos se poursuit sur nos routes, transportant des gens qui fuient.
Hier soir j’ai donné asile à l’une d’elle dont le propriétaire était en
panne sur la route de Grandcamp avec 2 autres voitures. Ils arrivaient
du Nord, d’Avesnes, les pauvres gens et le récit succinct de ce Mr. donnait
une idée bien affreuse de ce qui s’y passe. .......La poste marche très mal, et les
lettres du front n’arrivent pas. De tous côtés j’entends les plaintes
des parents anxieux. La pauvre Jeanne et Léon sont sans nouvelles de Georges
depuis bientôt 15 jours il en est de même pour tous, et c’est ce
qui laisse un espoir aux malheureux parents inquiets. ......J’étais atterrée hier soir en regardant la carte de voir tout ce que ces brutes occupent déjà dans notre cher pays privé ainsi d’une partie de ses meilleures usines. ......Notre village est rempli de réfugiés,
de gens du Nord surtout qui presque tous ont pu louer maisonnettes, villas
vides ou meublées. Il est bien évident que ceux qui sont arrivés de cette
manière avaient encore quelques moyens dans leurs poches, les plus à plaindre
sont les ouvriers, les paysans évacués par trains qu'il a fallu souvent
aller chercher très loin, le défilé de ces malheureux répétait ce que
l'on voyait en 1914. J'ai revu notre maire qui passe son temps
à courir, il a acheté (d'ordre de la préfecture) de la literie, des ustensiles
de ménage, vaisselle, tables et chaises qui sont distribuées. Je regrette
bien que ma santé ne me permette pas d'être plus active et d'aller aider
à l'installation de toutes ces familles. Il y a beaucoup d'enfants que
nos braves institutrices ont accueillis et qu'elles mettent je ne sais
où ! Le soir à 4h1/2 tout ce petit monde se rend à l'église accompagnés
de la bonne mère Campserveux qui leur aide à dire un chapelet pour la
France. Quand je pense que je ne peux même plus aller jusque là. Je vais
mieux, mais la marche m’est très fatigante. Depuis hier des avions nombreux
sillonnent la mer, pourquoi ?
{Le premier était dans un des wagons à
bestiaux qui rapatriait nos soldats de
Cherbourg au Mans où se trouvait notre soldat de St-Laurent. Je sais depuis
que le garde de Mr. Leterrier, passant dans ce train à la gare du Molay
a sauté du train en marche et est arrivé chez lui en pleine nuit. Vous
voyez d’ici la scène. Il repart aujourd’hui pour Le Mans, je ne pense
pas qu’il sera puni.} Les pauvres Leterrier sont sans nouvelles
de leur fils depuis 24 jours, idem les Saillard pour leur aîné, un brave
et fort gars, fiancé ! Laurent Thomas que tu as (vu ?)comme
enfant à la gare et 4 autres que tu ne connais pas. ......Ici on prend des précautions pour
une avance boche. Je dois loger 3 officiers supérieurs et 40 soldats.
(Ils ne sont jamais venus) ......Le 1er tiers de la classe 40 est appelé, ......On voit passer par la grande route des chariots remplis de meubles, de femmes, d'enf., de vieillards, qui sont refoulés par ici. Mais ce sont des gens du Nord. Tous les Belges ont été refoulés vers le Centre. ......Nous possédons en effet une garde
civique composée de tous les hommes valides (Léon en est !) qui monte
chaque nuit la garde dans nos petits chemins, on craint ce qui s'est passé
en Belgique, une invasion silencieuse de cette fameuse 5ème armée toute
prête à aider les Boches lorsqu'il le faudrait. Ce n'est plus une guerre,
c'est un (????illisible) de bandits. Nos hommes ont l'ordre de
tirer le cas échéant, ils ont tous un fusil et 5 cartouches. Nos deux
boys se sont fait inscrire pour prendre la garde aussitôt qu'ils seront
ici, ils aideront aussi dans les fermes. .......C’était dimanche la communion ici, triste communion dont la plupart des papas, des gds frères étaient absents. Il y avait des larmes dans bien des yeux. Un jeune abbé échappé du Nord habite maintenant le presbytère et aide le curé de St-L. (St-Laurent) qui avait bien du mal à tenir ses 5 paroisses. .......Nous entendions très bien la canonnade par vent de N.E. toute la journée de samedi (le 1er juin, des bombardements sur Le Havre ou Rouen ??) et nous avons été réveillés cette nuit par 3 fortes détonations qui ont fait trembler nos vitres, sans doute quelque avion boche laissant tomber ses bombes sur un de nos bateaux. Toutes les chaloupes de Grandcamp et de Port sont parties clandestinement une nuit pour Cherbourg où elles ont formé un convoi imposant qui est parti pour Dunkerque et Calais et ont participé au sauvetage de notre armée. _______________________________________________________________ ____________________________________________________________________________ ___________________________________________________________________________ ......Les cantons de Trévières et d’Isigny,
comme proches du bord de mer ont été vidés de tous les jeunes de 20 à
32 ans. A l’aide de Pommier (le notaire de Trévières) qui remplace
Brée (?) , trop vieux, à la mairie de Trévières et qui a du se
bien faire voir à la Com.(la Kommandatur ??), je
voudrai obtenir ce que d’aucuns ont obtenu ici, de garder leurs fils à
condition de les faire travailler et de venir chaque semaine signer à
la Com. Leterrier a spontanément accepté mon offre de prendre nos 3 boys
comme ouvriers agricoles. Cela ne souffre aucune difficulté pour D. et
K.(ils ont 17 et 18 ans), reste à savoir si nous pourrons obtenir
l’autorisation pour HN (il a 20 ans). Il faut pour les V. (les
Vertsdegris) que tout le monde travaille, ce n’est pas moi qui leur
en ferai reproche. Let.(Leterrier) a
vu revenir cette semaine son fils aîné, resté d’abord – prisonnier - dans
les bois de Mortain avec tout un EM, après avoir fait sauter des ponts
de la M. et du C. Au bout d’une semaine ils étaient toujours dans
un vieux château perdu dans les bois. Le Gén. et ses officiers ont décidé
de se rendre, et ont laissé leurs hommes libres de tâcher de rejoindre
leurs foyers. Louis L. a marché 12 j. pour arriver ici malade ayant peu
ou point mangé, et son père travaille à le faire rester chez lui. Tout
le monde est ici sans nouvelles de ses soldats, c’est ce qui nous donne
espoir pour les nôtres, mais quels moments d’inquiétudes et d’angoisses
pour tous les cœurs ! Quand te lirai-je mon H. ? Que Dieu nous
aide ! ______________________________________________________________________________________________________ Vierville 19 août 1940 .......Même notre petit village est envahi ;
et bien m’en a pris de ne pas quitter la vieille maison que j’ai jusqu’à
présent préservée d’hôtes indésirables. Toutes les villas de la plage
sont habitées par un E.M. officiers et hommes. Jusqu’ici c’est courtois.
Dubois (le maire) qui cause un peu allemand est à la hauteur de sa
tâche et défend âprement ses concitoyens. Mlle de P. (à Gruchy, ?)
a eu 50 hommes chez elle ; avec toutes les inconvénients (sic)
qui s’en suivent. ........H.A. démobilisé ….. Nous l’avons
revu pendant 24 h. Il avait dû faire à pied avec sa valise à la main les
20km qui nous séparent de Bayeux car l’essence est introuvable maintenant,
pour nous. Il n’en est pas de même pour les B. (Boches) qui ne
sont jamais à pied ; quelle tristesse, mes enfants chéris
que de voir notre cher pays sur un tel joug. Nous en souffrons tous, et
ma santé n’est pas brillante. ........Ici le village est occupé, il y a des verderets dans toutes les maisons ; mais sans grand pillage, nous commençons à sentir les restrictions, car nous avons à nourrir en France plusieurs millions de vainqueurs et beaucoup de provisions passent en Allemagne. Triste sort que le nôtre ; nous ne sommes pas encore revenus de cette humiliation ! Notre gouvt. n’arrive pas encore à grand chose, quant aux coupables de cette horrible défaite, ils méritent la mort. ________________________________________________________________________________________________________
......Il y a bien longtemps que nous n'avons
eu de tes nouvelles et bien longtemps aussi que nous t'avons écris. Ayant
obtenu un laisser-passer pour aller en zone libre, j'en profite pour te
mettre au courant.
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