90

Témoignages divers


Lettre de Michel Hardelay
Vierville, le 4 octobre 1995
Madame,
Voici les renseignements que je possède sur la source dite "DES ROUTOIRS" et sur les lots de falaise. Ils ne peuvent concerner les événements survenus après 1982, année après laquelle je n'avais plus de relations avec la mairie.

Sans remonter à_ la forêt de Quintefeuille submergée par la mer au deuxième ou troisième (?) siècle je dois vous rappeler qu'après la conquête de l'Angleterre par le Duc Guillaume en 1066 les échanges entre les seigneurs normands qui avaient participé à la conquête et leurs enfants qu'ils avaient placés à la tête des comtés anglais conquis, le transport du butin et le non-entretien des voies de communications terrestres avaient nécessité la construction d'un port à Vierville.

Ce port existait encore au 17ème siècle; il était défendu par un gros canon, dit une chronique de l'époque,
et en 1920 je me souviens qu'une mare de faible profondeur avec des roseaux occupait encore le terrain qui appartient maintenant à M.M. ESNAULT et JEANNOT. Cette mare a été comblée lors de la construction du tennis PEYTEL.
Les jetées, une en pierre et l'autre sur épis en bois sont encore visibles suivant les marées. J'en possède un relevé établi par Mr CAMPSERVEUX père. Les Américains avaient construit leurs jetées flottantes à l'emplacement des anciennes jetées de l'ancien port.

Le port existait en 1685 lors de la Révocation de l'Edit de Nantes car MARIE DE VIERVILLE (qui avait épousé 1'écuyer de son père,(le baron de Creully), le sieur de CRESPIGNY- son père lui avait donné le fief de Vierville comme cadeau de noces -) l'utilisa pour gagner 1'Angleterre; En effet elle était huguenote comme beaucoup de seigneurs normands. Son "cousin" anglais de 1066 lui rendit son titre de baronnet-

J'ai pu consulter, avant leur départ aux archives de Caen, les registres de la paroisse de Vierville. Ils commencent vers la fin du 17ème siècle et notent l'existence de matelots, d'un cordier et d'un toilier.

Avant 1685 Vierville comptait plus de mille habitants et l'église comportait deux bas-côtés pour accueillir les fidèles catholiques.

Les habitants vivaient en circuit fermé et tout devait être produit sur place, sauf les métaux. Comme fibres de tissage on cultivait le lin - le chemin qui contourne la propriété de Mme JACQUET s'appelle "Chemin de la LINIERE"
et on faisait ROUIR LE LIN dans la source des "ROUTOIRS".
Deux 'chemins conduisaient à cette source : l'un à partir de la route du "Hamel au Prêtre", devant 1'actuelle propriété de Jean OLARD et à travers "Les 4 sillons" rejoignait le chemin de la douane, et l'autre par le bas en passant sur la plage ou sur la crête des galets. Le site était marécageux et les possesseurs de presse à cidre y venaient en août et septembre pour y couper des roseaux de quatre pieds pour placer entre les lits de pommes coupées.

J'ignore à quelle date le port fut détruit par une tempête, sans doute dans les dernières années du 18ème siècle. La plage fut abandonnée et les terrains devinrent des lieux de pacage, vaches et moutons.
En 1899 il y avait une cabane de berger en dur dans le terrain PRIOR.

La culture du lin fut abandonnée, seuls les coupeurs de roseaux et ramasseurs de cresson vinrent trouver leurs fortunes au pied des falaises.

Vers 1830 la commune de Vierville dut songer à se doter d'un cadastre imposé par la loi.
Elle partagea la commune en 4 sections : A au Sud-Est, B au Sud-Ouest, C au Nord-Ouest et D au Nord-Est. Elle possédait dans chaque section des terrains communaux,
au Sud des "VIGNETS" - je suppose du nom de "vignot", genre d'ajonc épineux -
et au Nord les falaises.
Les routes Port-en-Bessin-Grandcamp et la descente à la mer-route de Formigny délimitaient ces quatre sections de superficies très inégales.

La commune décida de répartir d'une part les vignets, d'autre part les falaises entre les 85 familles - on disait feux à l'époque - de la commune par tirage au sort. Il y avait à l'Ouest de la descente à la mer un moulin en ruines et un bief qui reçurent les numéros Dl à D6, à l'Ouest,
sur la section C, les falaises avaient une superficie d'un peu plus de un hectare et furent divisées en trois (?) lots, mais le gros morceau de 29 hectares et demi fut divisé en 82 lots de 36 ares 02. Tous les lots portaient la mention cadastrale D7p, étaient classés "landes". Leurs limites, toutes parallèles et perpendiculaires au rivage s'arrêtaient à celui-ci représenté, sur le premier plan de partage par une ligne droite, et, au Sud, au chemin des Douanes en crête de falaise.
Il y avait un chemin de 5 mètres mitoyen avec la commune de Saint-Laurent, sensiblement perpendiculaire au rivage, et qui tournait à angle droit vers l'Est à environ 80 mètres, et servait encore de limites aux communes sur 50 ou 60 m. Les lots 84 et 85 n'avaient donc pas d'accès direct à la mer et le lot 83 était très biscornu. ,
Le chemin menant à la source des Routoirs avait été conservé entre deux lots. Lorsque l'on refit un plan plus précis on s'aperçut que le rivage n'était plus rectiligne et que la mer avait gagné du terrain sur les lots 25 à 35.

Bien entendu la largeur des lots était variable puisque la surface ne l'était pas. Près de la descente à la mer le lot N° 6 avait une largeur de près de 45 m., chez nous elle est de moitié : 22,25 m., plus à l'Est elle peut être de 13 ou 14 m.

Les premières villas furent construites vers 1870, mais la route de mer, subventionnée par le département, (RD 30), ne vit le jour qu'en 1900 ou 1901.
Le terrain fut donné par les propriétaires et les murs de soutènement construits sous la direction de l'agent voyer mais payés par les propriétaires des lots. Ceux-ci faisaient leur affaire de l'écoulement en mer des eaux de leurs sources. Comme il y avait le long du rivage une rangée de galets de plusieurs mètres, des buses sous la route suffisaient.

Pendant l'occupation allemande et américaine des terrains du bord de mer, il a été impossible de s'occuper de la protection de la route contre les marées.
La mer a repris près de cinq mètres à la limite Vierville-St Laurent, ce qui explique la légère courbe qui existe devant la propriété CHEVALIER, car on ne pouvait poursuivre l'alignement de l'ancienne digue terminée devant les Hortensias en 1938.
Les Américains ont enterré leurs morts tout d'abord sur l'emplacement de l'ancienne propriété LE GAY, seule villa construite à mi-distance entre les propriétés RICHARD et ROGER-SAINTENY. Le reste du terrain servait d'aire de déchargement des "ducks" et des chargements sur camions.

Lors de la construction de la nouvelle digue, la route avait été classée "Route Nationale",les propriétaires ont dû insister pour que les écoulements anciens soient conservés ou rétablis : CHEVALIER (mais sa source ne coule plus), GUGENHEIM-DEFORTESCU, ex-BRASSARD-CONIN-SHAEFFER, MATHY, .

Pour l'écoulement de la source des "ROUTOIRS" la DDE avait fait une traversée de route avec de grosses buses. Mais les galets, puis le sable obstruaient la sortie. Ils ont construit un émissaire et mis un clapet côté falaise pour que la mer, lors des grandes marées, n'inonde pas les terrains. 'Le clapet s'est grippé, l'émissaire a été démoli par une barge des ferrailleurs et reconstruit avec deux sorties opposées.
Il avait été entendu que les propriétaires voisins de la source des Routoirs pouvaient évacuer les eaux par un fossé en bord de route et se raccordant à l'écoulement de l'émissaire.

La route a retrouvé son statut de route départementale, c'est donc à la DDE d'Isigny que vous devrez vous adresser au cas où l'émissaire ne remplirait plus son rôle d'évacuation des eaux. Mais je vous conseillerais de vous rendre à la mairie parce que, depuis 1982, des règlements ont pu être modifiés.

Vous excuserez les fautes de frappe d'un vieil homme qui en a corrigées quelques unes mais sans doute pas toutes, et qui est toujours à votre service pour tous renseignements complémentaires

Cette lettre m'a permis de retrouver certains souvenirs que je croyais oubliés avant de vous adresser, chère Madame, les miens.

Michel HARDELAY

 

Retour accueil